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Lettre ouverte a Ingrid Betancourt au sujet de la Directive Retour de l’Union Européenne

category international | migration / racisme | opinion / analyse author Wednesday August 20, 2008 00:00author by José Antonio Gutiérrez D. Report this post to the editors

Lettre ouverte a Ingrid Betancourt au sujet de la Directive Retour, la nouvelle législation raciste de l’ UE. [Castellano]
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Chère Mme. Betancourt,

Tout d’abord, veuillez m’excuser de ne pas m’adresser a vous par votre prénom –Ingrid– comme le fait habituellement toute la presse. Je préfère réserver cette marque de familiarité à mes amis personnels. J’espère que vous ne m’en tiendrez pas rigueur.
Si je vous écris aujourd’hui, ce n est pas pour vous entretenir des personnes menacées, disparues, déplacées, celles connues comme « falsos positivos » ou encore de ceux exécutés ou emprisonnés sans procès équitable en Colombie, à propos desquels, soit dit en passant, vous n’avez strictement rien dit. Je ne mentionerai pas plus les près de 250 kidnappés aux mains des paramilitaires, sur lesquels vous n'avez pas dit un mot non plus.

Non, en fait, si je m'adresse à vous c’est pour attirer votre attention sur un problème qui peut sembler moins grave que la crise humanitaire terrible qui sévit dans les campagnes colombiennes, mais qui n’en est pas moins urgent : les politiques d'immigration, racistes et répressives, qui se développent en Europe.

Il y a peu, comme vous le savez, le Parlement Européen a promulgué un nouveau texte législatif sur l'immigration, la directive dite « Directive retour ». C’est une chose bien sournoise : savez-vous qu'un immigrant illégal latino-americain peut passer jusqu'à 18 mois en prison dans des camps de concentration appelés par euphémisme «centres de rétention» ?

Tel est le degré de dangerosité de cette directive que le secrétaire général de l'OEA, le pusillanime Insulza, a osé la qualifier de « répressive ». Un autre timoré, le président péruvien Alan García, a convoqué une réunion extraordinaire de l'OEA pour analyser le sujet. Le Président équatorien Correa a manifesté son désaccord au point de conditionner les négociations commerciales avec l'UE à l’abrogation de cette directive, que les Européens eux-mêmes surnomment la « Directive de la honte». Lula a parlé de xénophobie, Evo Morales a envoyé une longue lettre à Bruxelles et Chávez, comme on pouvait s’y attendre, a menacé de couper l'approvisionnement de pétrole. Tous ont trouvé que Bruxelles était allée trop loin.

Si je m’adresse à vous à ce propos c’est qu’il me semble que l’on vous reçoit très bien en Europe, avec tapis rouge et autres marques de déférence. Vous avez aussi obtenu la nationalité française sans difficulté apparente. Sachez que nous ne sommes pas tous à être ainsi reçus. Vous avez dit que la France était la terre de la " Fraternité" et de la "Liberté", … mais pour beaucoup d'immigrants cela est loin d’être vrai. La fraternité doit leur paraître une triste plaisanterie de mauvais goût face au risque de déportation, la liberté face aux 18 mois de rétention n’en parlons pas, et pour ce qui est de "l'égalité", personne ne semble s’en souvenir …

Vous paraissez, en outre, être une bonne amie de Nicolas Sarkozy, le nouveau président de l’Union Européenne. Pourriez-vous, s'il vous plaît, lui rafraîchir la mémoire et lui dire que si son père avait été confronté à des lois d'immigration aussi strictes que celles qu'il impose, peut-être ne serait-il jamais sorti de la Hongrie ?

Pouvez-vous dire aux Etats européens que "le problème" d'immigration qu’ils disent subir ne ressemble en rien à ce que nous, Africains et Latino-Américains avons enduré pendant des siècles d'immigration Européenne ? Et que nous, au moins, nous n’avons pas cherché à leur exproprier leurs terres, à leur imposer langue, culture et religion, à leur faire faire des travaux forcés ou à implanter des systèmes d'apartheid, comme eux l'ont effectivement fait ? Pouvez-vous leur rappeler que nous, immigrants, avons apporté et apportons d’autres saveurs à leurs marmites, de la musique dans leur rues, des bras et des cerveaux dans leurs champs et leurs entreprises, et fournissons du sang nouveau à un continent qui, irrémédiablement, vieillit?

Demandez à votre ami Sarkozy comment il peut parler de libre échange à tout va tout en empêchant les travailleurs de circuler -si ce n’est au prix de difficultés extraordinaires-, et en traitant les immigrants pauvres comme des chiens errants? Il y a une liberté pour les chefs d'entreprise mais pas pour l'immense majorité des simples citoyens. Saviez-vous que cette directive pousse les travailleurs illégaux vers des conditions de travail forcé et les rend plus vulnérables ?; beaucoup finissent par accepter des situations infrahumaines pour échapper au chômage et à la faim dans leur pays d'origine.

Madame Betancourt, une fois que vous aurez terminé votre pèlerinage à tout les temples dédiés à la Vierge Marie, peut-être pourrez-vous rendre un petit service aux Latino-Américains qui vivent en Europe et qui ne peuvent passer les frontières aussi aisément que vous. Suggérez à Mr. Sarkozy qu’il face marche arrière sur cette directive. S'il ne recule pas, peut-être nous immigrants qui en avons déjà bien assez de ces lois répressives, nous nous décréterons en grève générale afin de voir ce qui se passe. Ou peut-être allons nous leur chanter ce vers de Leon Gieco, qui dit dans « D’égal à égal »: « Si tu me demandes de rentrer encore une fois là où je suis né, je demande que ton entreprise parte de mon pays, et ainsi nous serons d'égal à égal ».

Vous souvenez-vous des nombreux Colombiens et autres Latino-Américains qui ont manifesté pour vous en Europe ? Comment pourriez-vous maintenant leur tourner le dos ? Les Européens vous écoutent. Transmettez le message, s'il vous plaît : la « Directive Retour » est une honte. Il ne manquerait plus que quelqu’un ait l’idée de créer une nouvelle Gestapo. Mais je m’arrête là, je ne souhaite pas donner d’idées à certains qui pourraient être enthousiastes à ce propos…
Bien à vous,

José Antonio Gutiérrez D.
12 juillet 2008

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