L' Organisation telle que nous la concevons n'est pas une avant-garde de révolutionnaires professionnels appelés à diriger les luttes et les gens. C'est plutôt une « minorité » agissante de militants communistes libertaires, de compagnes et compagnons sur la même longueur d'ondes qui coordonnent leurs activités politiques. [ Italiano ]
- Un regroupement d'humains qui coordonnent leurs activités afin d'atteindre certains objectifs. L' Organisation est ici conçue comme une réponse au problème de l'action collective, de sa coordination et de sa stabilisation.
- Les multiples façons par lesquelles ces groupements structurent les moyens dont ils disposent pour parvenir à leurs fins.
- L'action d'organiser, ou plutôt le processus idéologique qui engendre les groupements et/ou les structures organisationnelles.
La nécessité de l'organisation dans la vie sociale - ou la synonymie entre organisation et société - est une chose tellement évidente qu'on a peine à croire que certains puissent la discuter.
Si, pour moi, l'organisation en général comme principe et condition de vie sociale ne se discute pas, l'Organisation du Mouvement social dans sa résistance à l'Etat et au Capitalisme et l'Organisation de la « résistance » anarchiste sont aujourd'hui les voies de recours, même si les anti-organisationnels restent encore nombreux.
A cause de cela, nombre d'anarchistes influencés par la lutte contre l'Autorité confondent la nécessaire lutte contre l'organisation sociale autoritaire d'avec le concept même d'Organisation. Une erreur d'interprétation qui les a conduits à soutenir des invraisemblances : la coopération, l'entente, l'association devenant dans leurs esprits, l'antithèse de l'Anarchie.
Le « chacun fait ce qui lui passe par la tête » en pensant que mécaniquement tout finira bien par s'harmoniser spontanément a produit d'énormes dégâts : ces inepties ont été rapportées, propagées, imprimées et ont été accueillies par une grande partie du public comme autant de « vérités » anarchistes. Au point même que l'anarchie a pu être conçue comme le moyen qu'avait chaque homme de se suffire à lui-même et de se procurer tout ce qu'il lui fallait sans échange et sans travail associé. Des errements qui permettent encore à nos adversaires (étatistes) de travestir notre idéologie, nos propositions.
Bakounine , concernant la liberté de l'homme, stigmatise l'absurdité de croire que l'homme était libre avant d'être en société ou celui de croire que chacun doit renoncer à une part de sa liberté pour former un contrat social avec les autres, ce qui conduirait de manière mécaniste à la domination. Selon cet axiome seule l'autonomie de l'individu en société permettrait l'apparition de la liberté. Rappelons que ce sont les constructions de l'homme en société qui ont fait que la liberté a pris une valeur positive...
La liberté de l'Homme (son autonomie) est née à partir des processus de rébellion contre l'Autorité et de l'auto construction du social. Elle s'étend à l'infini avec celle des autres tout en exigeant des obligations sociales, éléments de base de la norme sociétaire. Je rappelle qu'il n'existe pas de société, sans norme, sans langage...
Aujourd'hui norme et règle sociale sont ressenties comme choses imposées car précisément nous vivons dans une société hiérarchique où nous n'avons rien décidé et en rien participé.
Pour autant, l'anarchie n'est pas absence de normes - c'est-à-dire chaos - mais bien l'institutionnalisation de la société future : mise en marche d'institutions anarchistes dans lesquelles les individus pourront vivre, créer l'égalité, la justice et ainsi leur propre liberté; un type d'Organisation en totale cohérence avec les tentatives de réalisations révolutionnaires.
Ceux qui, malgré cela, se déclarent ennemis de l'Organisation le sont habituellement parce qu'ils ne parviennent pas à sortir de ce dilemme : commander ou être commandés. Ils ne voient pas en théorie d'autre garantie pour la liberté individuelle que l'isolement, le manque de tout pacte et de tout lien librement accepté.
A contrario, tant qu'il y a, dans une collectivité, harmonie d'intérêts, tant que personne n'a l'envie ni le moyen d'exploiter les autres, il n'y a pas de traces d'Autorité. C'est au moment ou les luttes intestines commencent et que la collectivité se partage entre Dominants et dominés, qu'apparaît alors l'Autorité, laquelle est, naturellement, du côté des plus forts et sert à confirmer, à perpétuer et à favoriser leur hégémonie.
En tant qu'anarchistes nous pensons qu'il existe des Organisations sans Autorité et que celles-ci sont pourvoyeuses de collectivités sans autorité.
Par Organisation anarchiste nous entendons l'ensemble de ceux qui veulent collaborer pour parvenir à une société Communisme libertaire et qui envisagent la nécessité de se fixer un but et un chemin à parcourir.
Certains nous font l'objection suivante : «nous ne sommes pas une organisation, nous n'avons pas de programme». Ils signifient que les idées sont susceptibles de changer et qu'ils ne sont pas prêts à accepter une «ligne de conduite» qui pourrait être bonne aujourd'hui mais qui serait certainement dépassée demain.
A ceux-là nous répondons que si l'anarchisme ne se veut pas science, il est un ensemble de propos, de projets, que les militants veulent mettre en pratique (réaliser) et qui, pour cela, ont besoin d'être formulés en « analyses et propositions » claires et déterminées.
L'autre objection est que l'organisation crée des chefs.
Nous leur répondons que, si cela s'avère vrai, ça signifie que les individus qui composent l'Organisation sont encore trop peu anarchistes et qu'avant de penser à établir l'anarchisme dans le monde, ils doivent penser à se rendre capables euxmêmes de vivre en anarchistes. Le remède n'est donc pas la non- organisation mais plutôt la prise de conscience de l'inutilité des « chefs ». Dans une organisation anarchiste, tous les membres doivent se soucier de penser, de vouloir comprendre, de se faire expliquer ce qu'ils ne saisissent pas, d'exercer sur tout et sur tous leurs facultés critiques...
C'est en effet au moment où une collectivité a un besoin et que les membres qui la composent ne savent pas s'organiser spontanément pour se le procurer, que surgit quelqu'un, une Autorité, qui pourvoit à ce besoin en se servant de la force de tous et en dirigeant selon sa volonté.
Il ne suffit pas de proclamer jusqu'à plus soif la nécessité de la Révolution, il faut convaincre et regrouper des gens autour d'une perspective de changement. Voilà à quoi doit servir l' Organisation :
- faire exister politiquement un courant libertaire dans les villes, dans le pays, y compris au niveau international.
- donner un visage public à l'anarchisme et rassembler un pôle libertaire dans les luttes.
Il est vital de chercher à agir sur la conjoncture et d'ouvrir des perspectives radicales de lutte.
L' Organisation doit servir à développer une perspective sociale libertaire globale, ancrée dans le quotidien et fédérant tous les fronts. Elle doit aussi favoriser les mouvements sociaux combatifs et l'émergence d'une perspective révolutionnaire.
L' Organisation telle que nous la concevons n'est pas une avant-garde de révolutionnaires professionnels appelés à diriger les luttes et les gens. C'est plutôt une « minorité » agissante de militants communistes libertaires, de compagnes et compagnons sur la même longueur d'ondes qui coordonnent leurs activités politiques. Ce n'est pas un club privé ou un groupe d'affinités mais une organisation publique dont on peut devenir membre si on est d'accord avec les principes, les analyses, les propositions et les positions qui fondent ses engagements. Bref, ce que nous tentons de faire à la CGA...
Edi Nobras
De "Infos & analyses", N°70, Mars-Avril 2008
Bimestriel de la Coordination des Groupes Anarchistes