Au fil du temps, la journée du 8 mars s’est institutionnalisée pour devenir la « Journée de LA femme », célébration symbolique passant opportunément sous silence qu’il s’agit en réalité d’une journée de lutte. Pour se la réapproprier, une idée folle est née : la grève des femmes !
Au départ en 2012, quelques nanas motivées de Mix-Cité et de Solidaires. Il n’en fallut pas plus pour que, malgré la prétendue « folie » du projet, un collectif large se monte à Toulouse. Cela faisait plus de soixante ans qu’une grève de femmes n’avait pas eu lieu en France. « C’est apparu comme une évidence. Le 8 mars a repris un sens », estime Julie (militante à Mix-Cité et à Solidaires).
Ainsi, se sont réunis des associations féministes, des planning familiaux, des centres d’hébergement pour femmes, des syndicats (Solidaires, CNT, Snetap-FSU, Aget-FSE), des organisations et des associations (Alternative libertaire, Attac, Alternatifs, NPA). Le but : protester contre les différences salariales, les différences dans les progressions de carrière, les « violences au travail », le temps partiel subi, les pensions de retraite inférieures de 48 % à celles des hommes. Les femmes sont les premières touchées par la crise, et les mesures antisociales les précarisent d’autant plus, touchant en particulier les familles monoparentales où 86 % des parents sont des femmes.
Par la grève, la place et l’importance de l’activité des femmes dans la société sont rendues réellement visibles. Si 52 % de la population cesse de travailler, la société est bloquée. Et ce d’autant plus que certains secteurs d’activités employant en grande majorité des femmes, comme la petite enfance, le soin et l’entretien, sont des secteurs clés. En ne se limitant pas au travail domestique et en investissant le monde du travail, la grève des femmes se donne les moyens de conquérir une visibilité dans l’espace public.
Pourtant, la non-mixité permet d’affirmer de manière symbolique le droit des femmes à reprendre la rue, sans avoir à subir le racolage et le harcèlement de certains hommes. Le droit aussi de se montrer en tant qu’êtres politiques autonomes, alors que les hommes continuent le reste de l’année à tenir le haut du pavé dans le monde politique et syndical. C’est aussi la garantie d’une lutte auto-organisée par les principales intéressées, non récupérée par des groupes qui en font une question largement secondaire, voire périphérique.
Et au final, qu’est-ce qu’un jour sur 365 ? Les hommes auraient-ils peur de perdre le contrôle ? Le féminisme, devenu l’apanage de quelques spécialistes au sein des organisations et des syndicats, et regardé avec méfiance, nécessite beaucoup de pédagogie encore aujourd’hui. La réserve et la mauvaise volonté (consciente ou inconsciente) de certain-e-s n’a pas facilité les choses. Pour les camarades qui ont défendu le projet, ça a été très lourd en interne. « Les syndicats ont une énorme responsabilité quand ça ne marche pas, parce qu’ils n’y croient pas », selon Julie. Heureusement, les féministes de Toulouse y ont cru, se sont unies malgré les divergences et le résultat fut largement au-dessus de leurs espérances.
La grève fit fermer au moins trois crèches, une douzaine de Centres de loisirs associés à l’école (CLAE) et cantines, et plusieurs centres d’hébergement pour femmes. Les sages-femmes de l’hôpital Joseph Ducuing qui ne pouvaient pas faire grève affichèrent leur soutien avec les badges du collectif. Elle perturba aussi les écoles primaires de la ville. Certaines femmes, avec parfois plus de vingt ans d’ancienneté, firent grève pour la première fois, parce que ça leur parlait. Pour une grève dont les préavis n’ont été déposés que par quelques syndicats de Solidaires, ce n’est pas mal du tout ! Les autres ont dû admettre qu’ils avaient manqué le coche.
Ce qui est sûr, c’est que les vacances tombent mal cette année, le milieu scolaire ayant été le plus mobilisé l’an dernier. Mais cela ne doit pas nous démotiver, et il faut d’ores et déjà penser plus loin. Pourquoi ne pas étendre cette grève à toute la France en 2014 ? L’idée a fait mouche un peu partout et Solidaires s’est déjà positionnée pour. Le Forum social européen de Florence de 2012 a appelé à faire des « actions européennes d’affirmation de l’émancipation des femmes contre l’austérité et la dette », et bien que cet appel soit à la « sauce dém » et limité aux questions économiques, cela a permis de faire venir dans le collectif le Parti de gauche, la Gauche anticapitaliste, Convergences et alternative et Europe écologie les verts. Si les syndicats et organisations s’engagent au niveau national, cette grève pourrait avoir un sacré écho. Un appel national permettrait aussi une plus grande autonomie des groupes féministes, des initiatives multiples et originales, et surtout, de donner un nouveau souffle à cette journée et aux luttes des femmes en général.
Mais nous devons aussi rester vigilantes à ce qu’elle ne perde ni sa radicalité ni son pouvoir de subversion. Mieux vaut des débats houleux qu’un acquiescement dû à une indifférence convenue. Faire de ce projet une réalité sera un des objectifs d’Alternative libertaire pour l’année à venir. Les syndicats et organisations, tenus pour l’essentiel par des hommes, doivent se mouiller et prouver qu’ils sont prêts à s’engager sur ces questions. Car les groupes féministes, ultra-divisés aujourd’hui, tiennent là un bon moyen de s’unir pour refaire du féminisme une lutte vivante et offensive, une lutte qui s’adresse à toutes les femmes, et non à quelques spécialistes. N’en déplaise au patriarcat qui nous gangrène.
Elisa (AL Toulouse)