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15. L'Especifismo: L'organisation anarchiste, perspectives et influences historiques

category brésil/guyane/suriname/guinée française | mouvement anarchiste | déclaration de principes author Monday August 06, 2012 20:44author by FARJ - FARJ Report this post to the editors
Anarchisme social et organisation Traduction Française

15. L'Especifismo: L'organisation anarchiste, perspectives et influences historiques

L'Especifismo: L'organisation anarchiste, perspectives et influences historiques
Le manque d'organisation visible, normale et acceptée
par chacun de ses membres rend possible la
mise en place d'organisations arbitraires, moins libertaires.
Luigi Fabbri
Depuis que le terme «especifismo » est arrivé au Brésil au milieu des années 1990, il y a eu une série de polémiques, voire des confusions à son propos. Il y avait, et il y a malheureusement encore des gens qui disent que l'especifismo n'est pas de l'anarchisme; ils accusent les organisations especifista d'être des partis politiques, entre autres absurdités. Lorsque nous identifions la Farj comme une organisation spécifique anarchiste nous cherchons, avant tout, à situer dans la discussion sur l'organisation anarchiste quelles sont les positions que nous épousons.
Le terme especifismo été créé par la Fédération Anarchiste Uruguayenne (Federación Anarquista Uruguaya - FAU) et, à travers celui-ci, nous nous référons à une conception de l'organisation anarchiste qui a deux axes fondamentaux: l'organisation et la pratique/l'insertion sociale. Ces deux axes sont basés sur les concepts classiques de l'activation différenciée de l'anarchisme sur les plans sociaux et politiques (concept bakouniniste) et de l'organisation spécifique anarchiste (concept Malatestien). Par conséquent, le terme especifismo, bien qu'ayant été récemment conçu, renvoie à des pratiques anarchistes organisationnelles qui ont existé depuis le XIXe siècle. En plus de ces deux axes, il y a une série d'autres questions d'organisation qui sont traitées dans l'especifismo et que nous cherchons à développer par la suite. Par conséquent, les deux principales références classiques de l'especifismo sont Bakounine et Malatesta. Cela ne signifie pas que l'on fait abstraction d'autres théoriciens importants tels que Proudhon et Kropotkine - nous avons utilisé un grand nombre de leurs références théoriques dans ce texte - mais nous croyons que, pour la discussion sur l'organisation anarchiste, Bakounine et Malatesta ont des propositions plus appropriées à notre travail.
Dans les paragraphes suivants, nous avons l'intention de reprendre brièvement quelques discussions que nous avons eues tout au long de ce texte, et en particulier dans ce dernier chapitre, et de les situer et de les comparer avec d'autres positions qui existent dans l'anarchisme. Nous croyons que plus que d'affirmer les positions que nous défendons - ce que nous avons fait jusqu'à présent - il est opportun de réaliser quelques critiques fraternelles des autres conceptions de l'organisation (ou de la désorganisation) présentes dans l'anarchisme et, sur la base de quelques points en particulier, de comparer nos conceptions avec les autres.
Le meilleur contraste avec le modèle d'organisation especifista serait probablement ce que nous appelons le modèle de la synthèse, ou synthesisme. Ce modèle a été formalisé en théorie dans les deux documents homonymes appelés «La Synthèse anarchiste", l'un rédigé par Sébastien Faure et l'autre par Voline. Historiquement et globalement c'ést la plate-forme de Dielo Trouda qui a établi ce contraste. Nous avons l'intention de reprendre une partie de ce débat sur ​​l'organisation anarchiste, bien que, à notre avis, l'especifismo est plus large que le plateformisme- même si celui-ci possède une influence significative.
La Synthèse préconise un modèle d'organisation anarchiste, dans lequel se regroupent tous les anarchistes (anarcho-communistes, anarcho-syndicalistes, anarcho-individualistes, etc) et, par conséquent, elle présente de nombreuses caractéristiques que nous critiquons ci-dessous. Nous savons que certaines de ces caractéristiques ne sont pas nécessairement liées au modèle synthésiste de l'organisation. Cependant, il est indéniable que beaucoup d'entre elles sont reproduites dans les organisations de ce type, principalement du fait de l'influence de l'individualisme, mais pas seulement. Nous reconnaissons que dans les organisations synthésistes il ya aussi des militants sérieux dévoués à l'anarchisme social et, par conséquent, nous ne voulons pas que les critiques paraissent généralisées. Bien que nous ne nous remettions jamais en cause le caractère anarchiste de ces organisations (pour nous, elles le sont toutes), elles ne correspondent pas, dans la plupart des cas, avec notre façon de concevoir l'organisation anarchiste.
Tout d'abord, lorsque nous traitons dans ce texte de l '«organisation spécifique anarchiste " de ce point de vue particulier, nous ne parlons pas de toute organisation anarchiste. Il ya diverses organisations anarchistes qui ne sont pas especifista. Par conséquent, l'especifismo implique beaucoup plus que de préconiser l'organisation anarchiste.
La première différence est dans la façon de comprendre l'anarchisme elle-même. Comme nous l'avons noté au début de ce texte, nous considérons l'anarchisme comme une idéologie, c'est à dire, un ensemble «d'idées, de motivations, d'aspirations, de valeurs, une structure ou un système de concepts qui ont un lien direct avec l'action - ce que nous appelons la pratique politique". En l'occurence, nous cherchons à différencier cette compréhension de l'anarchisme d'une autre, purement abstraite et théorique, qui ne fait qu'encourager la libre pensée, sans nécessairement concevoir un modèle de transformation sociale. L'anarchisme, pensé seulement à partir de ce modèle d'observation critique de la vie, offre une liberté esthétique et des possibilités infinies. Cependant, si il est conçu de cette manière, il n'offre pas de réelles possibilités de transformation sociale, car il n'est pas mis en pratique, dans l'action. Il n'a pas la pratique politique qui vise les objectifs finaux.
L'Especifismo préconise un anarchisme qui, en tant qu'idéologie, cherche à concevoir un modèle de fonctionnement qui transforme la société d'aujourd'hui en socialisme libertaire par le biais de la révolution sociale. Ce processus implique nécessairement l'organisation des classes exploitées dans une organisation populaire et exige le recours à la violence, entendue d'abord comme une réponse à la violence du système actuel. D'autres courants anarchistes sont contre la violence et nous croyons que la transformation sociale ne peut avoir lieu par d'autres moyens.
Une autre différence se situe autour de la question même de l'organisation. Pour nous, l'organisation est une question absolument centrale lorsqu'il s'agit de l'anarchisme. Sans elle, nous croyons qu'il est impossible de concevoir un projet politique sérieux qui a pour objectif d'arriver à la révolution sociale et au socialisme libertaire.
Il ya des courants anarchistes qui soutiennent des positions « anti-organisationnelles», voire spontanéistes, et croient que toute forme d'organisation est autoritaire, voire hostile à l'anarchisme. Pour ces courants, la formation d'un bureau pour coordonner une assemblée est autoritaire. Quoi qu'il en soit, pour ces anarchistes la lutte doit avoir lieu spontanément. Les gains, s'ils viennent, doivent arriver spontanément. La convergence entre les luttes doit être spontanée et même le renversement du capitalisme et l'Etat, s'il avait lieu, serait le résultat d'une mobilisation spontanée. Peut-être, que même après une éventuelle révolution sociale, les choses évolueraient par elles-mêmes, se mettraient en place sans effort. Ces anarchistes croient que l'organisation préalable n'est pas nécessaire, d'autres pensent que ce n'est même pas souhaitable.
Certains individus anarchistes qui défendent ces points de vue et qui sont prêts à avoir une pratique sociale ne peuvent pas faire face aux forces autoritaires et, sans l'organisation adéquat, finissent par être la main d'oeuvre et les «petites mains» de projets autoritaires ou ils repartent frustrés parce qu'ils ne peuvent pas trouver d'espace dans les mouvements sociaux.
Nous avons noté précédemment que nous concevons l'organisation spécifique anarchiste en tant qu'organisation de la minorité active. Ainsi, c'est une organisation d'anarchistes qui se regroupent sur le plan politique et idéologique et qui exercent leur activité principale sur le plan social, qui est plus large, visant à être le ferment de la lutte. Dans le modèle especifista il ya nécessairement cette différenciation entre les plans politiques et sociaux de l'activité.
Par ailleurs, il ya des anarchistes qui conçoivent de l'organisation anarchiste comme un vaste ensemble qui fédère tous ceux qui s'appellent eux-mêmes anarchistes, servant d'espace de convergence pour la réalisation d'actions avec une autonomie complète. Dans l'anarchisme, grosso modo, cette division entre les plans sociaux et politiques n'est pas acceptée par tous les courants, qui comprennent l'organisation anarchiste d'une manière diffuse, soit en mesure d'être un mouvement social, une organisation, un groupe d'affinité, un groupe d'étude, une communauté, une coopérative, etc
Même le concept d'anarcho-syndicalisme, à diverses reprises, a cherché à supprimer cette différence entre les plans d'activité, mêlant l'idéologie anarchiste avec le syndicalisme. Ces tentatives et d'autres d'ideologiser les mouvements sociaux, dans notre conception, affaiblissent autant les mouvements sociaux - qui ne fonctionnent plus sur des questions concrètes telles que la terre, l'emploi, le logement, ec.- que l'anarchisme lui-même, car il ne permet pas l'approfondissement des luttes idéologiques, qui se produisent au sein du mouvement social. Ils s'affaiblissent également, parce que l'objectif de ces anarchistes de transformer tous les militants des mouvements sociaux en anarchistes est impossible, à moins de réduire de manière significative et d'affaiblir les mouvements. De ce fait, ou même en constatant qu'il est naturel de trouver des gens de différentes idéologies dans les mouvements sociaux qui ne seront jamais anarchistes, ces anarchistes se sentent frustrés, et se tiennent souvent à l'écart des luttes. En conséquence cet anarchisme est souvent limité à lui-même.
L'organisation anarchiste de la minorité active est souvent comprise, par les autres courants anarchistes, comme similaire à l'organisation autoritaire d'avant-garde. Comme nous avons fait en sorte de le souligner, quand nous concevons cette séparation entre le plan social et politique nous ne voulons pas dire par là que nous voulons être à la tête des mouvements sociaux, ni que le plan politique aie une relation de hiérarchie ou de domination par rapport au plan social.
Il ya aussi une différence par rapport à l'espace privilégié pour la pratique de l'anarchisme. Nous les especifistas croyons que cet espace est la lutte des classes. Principalement parce que nous considérons que nous ne vivons pas seulement dans une société, mais dans une société de classes. Indépendamment de la façon dont nous pensons les différences entre ces classes, il nous semble impossible de nier que la domination et l'exploitation se produisent à différents niveaux dans notre société et que le facteur économique a beaucoup d'influence sur ce point. Pour nous, l'anarchisme est né parmi le peuple et c'est là où il devrait être, en prenant une position claire en faveur des classes exploitées qui sont en conflit permanent dans la lutte de classe. Par conséquent, lorsque nous parlons d' « où semer les graines de l'anarchisme ? », pour nous il est clair que cela doit être au sein de la lutte des classes, dans les espaces dans lesquels les contradictions du capitalisme sont les plus évidentes.
Il ya des anarchistes qui ne supportent pas ce parti pris lutte de classe de l'anarchisme et, ce qui est pire, il en y a qui l'accusent d'être * assistencialiste, ou de vouloir "donner des excuses aux pauvres". Niant la lutte des classes, la plupart de ces anarchistes croient que, comme la définition classique des classes bourgeoises et prolétariennes ne prend pas en compte la société d'aujourd'hui , alors on pourrait dire que les classes n'existent plus, ou que ce serait un concept anachronique. Nous sommes fondamentalement en désaccord avec ces positions et nous croyons que, quelle que soit la façon dont nous définissons les classes – que nous mettions l'accent plus ou moins sur le caractère économique, etc - il est indéniable qu'il existe des contextes et des circonstances dans lesquelles les gens souffrent davantage des effets du capitalisme . Et nous voulons que notre pratique ai lieu de manière prioritaire dans ces contextes et ces circonstances.
Lorsque nous cherchons à appliquer l'anarchisme à la lutte des classes nous mettons en avant ce que nous appelons la pratique sociale, et que nous avons défini plus tôt comme «l'activité que l'organisation anarchiste réalise au sein de la lutte des classes, permettant à l'anarchisme d'interagir avec les classes exploitées". Comme nous l'avons dit aussi, pour nous, ce devrait être la principale activité de l'organisation spécifique anarchiste. Nous soutenons que, par la pratique sociale, l'organisation anarchiste doit chercher l'insertion sociale, « le processus d'influence des mouvements sociaux à travers la pratique anarchiste ».
Il ya des anarchistes qui ne défendent pas cette pratique en vue de l'insertion sociale. Une partie ne crois pas que c'est une priorité, et l'autre partie, ce qui est plus compliqué, estime que c'est autoritaire. Pour les anarchistes qui pensent que la pratique/l'insertion sociale n'est pas une priorité, il semble que d'autres activités seraient plus efficace dans le développement de l'anarchisme - mais cela n'est pas souvent spécifié. Par ailleurs, bien qu'ils n'aient, du moins en apparence, pas de formulation stratégique, ce qui se passe dans la pratique, c'est que ces anarchistes cherchent à travailler à travers la propagande limitée fortement aux publications, aux événements et à la culture. Comme nous l'avons déjà souligné, cette propagande est également centrale pour nous, mais elle ne suffit pas si elle est faite sans le soutien de l'action sociale et l'insertion. Avec ce soutien la propagande est beaucoup plus efficace. Par conséquent, la propagande, dans l'especifismo, devrait être effectuée avec ces deux partis pris : éducatif / culturel et lutte avec les mouvements sociaux.
Les anarchistes qui ne croient pas que la pratique/l'insertion sociale sont, ni ne doivent être une priorité préfèrent travailler dans d'autres médiums, loin de la lutte des classes, des mouvements sociaux, des personnes de différentes idéologies. Certains disent qu'en tant que membres de la société ils ont déjà l'insertion sociale. Souvent, ils deviennent sectaire, n'arrivent à s'entendre qu' avec leurs pairs, et «ghettoïsent» l'anarchisme. C'est ce qui explique le sectarisme de certains anarchistes, qui se produit dans une proportion beaucoup plus petite ave les organisations spécifiques.
Beaucoup plus compliqué que la position ci-dessus est la position défendue par les anarchistes qui sont contre la pratique et l'insertion sociales. Ces anarchistes croient que comme ils ne sont souvent pas pauvres, comme ils ne sont souvent pas dans les mouvements sociaux (ils ne sont pas des paysans sans terre, par exemple), il est autoritaire de travailler avec une communauté pauvre, voire avec les mouvements sociaux, car «ils sont extérieur à cette la réalité ". Pour eux, il est autoritaire pour une personne qui a un endroit pour vivre de soutenir la lutte des sans-abri, il est autoritaire de fréquenter un mouvement communautaire sans être de la communauté, il est autoritaire de soutenir la lutte des collecteurs de déchets si on n'est pas l'un d'eux. Pour ces anarchistes il y a seulement une légitimité dans le travail avec les mouvements populaires, si on est un «populaire», et si on fait partie de la réalité du mouvement. Comme ces anarchistes ne sont généralement pas dans ces conditions, ils ne se rapprochent pas des mouvements sociaux, ni de la lutte des classes. Ils finissent par faire de leur anarchisme un «mouvement en lui-même", qui se caractérise par être essentiellement composé de la classe moyenne et des intellectuels, en ne cherchant pas de contact avec les luttes sociales et populaires, en n'étant pas en contact avec des gens d'idéologie différente. En effet, cet anarchisme de la classe moyenne et intellectuelle, lorsqu'il n'est pas en quête de pratique et d'insertion sociale finit nécessairement de deux manières possibles. Soit il abandonne la proposition de transformation sociale, soit il se constitue en un groupe qui se bat pour les gens, pas avec les gens - assumant la position d'avant-garde et non de minorité active.
La pratique sociale, pour ces militants, est souvent comparée à l'«entrisme» de la gauche autoritaire - les personnes qui entrent dans les mouvements sociaux pour les faire travailler en leur faveur. Dans la plupart des cas, ils préconisent la spontanéité car «venir de l'extérieur", » placer l'anarchisme au sein des mouvements sociaux" est autoritaire. Selon eux les idées devraient surgir spontanément. Ils dénoncent la discussion, la persuasion, le fait de convaincre, d'échanger, d'influencer comme externe aux mouvements sociaux et, par conséquent, autoritaire.
Nous especifistas sommes aussi radicalement en désaccord avec cette position contre la pratique et l'insertion sociales. Comme nous l'avons expliqué, pour nous l'anarchisme ne doit pas se limiter à lui-même, ni se tenir à l'écart des mouvements sociaux et des personnes de différentes idéologies. Il devrait servir comme un outil, comme la levure, comme le moteur de la lutte de notre temps. Pour cela, l'anarchisme, au lieu de se cacher, doit affronter la réalité et chercher à la transformer. Pour cette transformation, il est inutile «de prêcher à des convertis», nous devons, nécessairement, interagir avec les non-anarchistes.
Puisque nous considérons que la classe n'est pas définie par l'origine, mais par la position que l'on préconise dans la lutte, nous pensons que soutenir les mouvements sociaux, aider les mobilisations et organisations différentes de la réalité dans laquelle on se situe est une obligation éthique, pour tout militant dévoué à l'abolition de la société de classes. Enfin, nous croyons que la pratique sociale apporte la pratique nécessaire à l'anarchisme, qui a une immense contribution au développement de la ligne théorique et idéologique de l'organisation. Cette activité est pour nous extrêmement important dans notre développement théorique, puisque cela signifie que nous théorisons tout en ayant connaissance de la réalité et de l'application pratique de l'anarchisme dans les luttes. Les groupes et les organisations qui n'ont pas de pratique sociale ont tendance à radicaliser un discours qui n'a pas de fondement dans la pratique. Lorsque cela se produit, la tendance est à l'existance d'un discours ultra-radical et révolutionnaire – accusant souvent les autres d'être des réformistes, etc - mais cela ne va pas au-delà de la théorie.
Comme nous l'avons vu, dans l'especifismo il y a unité idéologique et théorique, un alignement en ce qui concerne les aspects théoriques et idéologiques de l'anarchisme. Cette ligne politique est construite collectivement et tout le monde dans l'organisation est obligée de la suivre. Parce que nous considérons que l'anarchisme est quelquechose de très large, avec des positions très différentes, voire contradictoires, il nous apparaît nécessaire que, entre tous ces positions, il nous faille extraire une ligne idéologique et théorique à défendre et développer par l'organisation. Comme nous l'avons souligné cette ligne doit, nécessairement, être liée à la pratique puisque nous croyons que «pour théoriser de manière efficace, il est essentiel d'agir".
Pour les anarchistes qui ne prônent pas cette unité l'organisation anarchiste pourrait travailler avec différentes lignes idéologiques et théoriques. Chaque anarchiste ou groupe d'anarchistes peuvent avoir leur interprétation de l'anarchisme et leur propre théorie. C'est la raison de divers conflits et scissions au sein des organisations ayant cette conception. Comme Il n'y a pas d'accord sur les questions initiales, les conflits sont fréquents, certains pensant que les anarchistes doivent travailler avec les mouvements sociaux, alors que d'autres considèrent cela autoritaire et un «truc marxiste»; certains pensant que la fonction de l'anarchisme est de développer l'ego des individus , alors que d'autres sont radicalement contre cela et ainsi de suite. Pour nous, il n'y a pas moyen d'avoir une pratique efficace ou même constituer une organisation sans être d'accord sur certaines "questions initiales". Dans les organisations qui ne travaillent pas avec unité idéologique et théorique, il n'y a pas de développement dans cette direction, car avec tant de problèmes sur les questions les plus simples, les plus complexe n'en viennent même pas à être abordées. Bakounine avait raison quand il avait dit, «qui embrasse beaucoup, se resserre peu" [185]. Il est important

    de comprendre que la division qui existe entre les anarchistes sur ce point est beaucoup plus profonde qu'on ne le croit, et qu'elle implique également un désaccord théorique inconciliable. Je dis cela pour répondre à mes bons amis, qui favorisant un accord à n'importe quel prix, affirment : «Nous ne devrions pas créer des problèmes de méthode! L'idée est identique et le but est le même; restons donc unis sans être déchiré par un petit désaccord sur la tactique ". J'ai, au contraire, compris depuis longtemps que nous sommes déchirés précisément parce que nous sommes très proches, parce que nous sommes artificiellement proches. Sous le vernis apparent de la communauté de trois ou quatre idées - l'abolition de l'État, l'abolition de la propriété privée, la révolution, l'anti-parlementarisme - il ya une énorme différence dans la conception de chacun de ces énoncés théoriques. La différence est si grande qu'elle nous empêche de prendre le même chemin sans que nous nous querellions et sans réciproquement neutraliser notre travail ou, si on voulait rester en paix, en renonçant à ce que nous croyons être vrai. Je le répète: Il n'y a pas seulement une différence de méthode, mais une grande différence d'idées. [186]

Outre l'unité idéologique et théorique, les especifistas défendent l'unité stratégique et tactique. Agir avec stratégie, comme nous l'avons vu, consiste à réaliser une planification de toutes les actions concrètes réalisées par l'organisation, en cherchant à situer l'endroit où on est, où l'on veut aller et comment. L'anarchisme qui fonctionne avec l'unité stratégique et tactique fait de la planification et de sa transcription dans l'application pratique un pilier solide de l'organisation. Cela parce que nous croyons que le manque de stratégie disperse les efforts, ce qui rend vains beaucoup d'entre eux. Nous préconisons un modèle dans lequel une voie à suivre est collectivement discutée, et ensemble dans cette perspective, nous établissons des priorités et des responsabilités attribuées aux militants. Les priorités et les responsabilités signifient que tout le monde ne va pas être en mesure de faire ce qui lui passe par la tête, quand il le veut. Chacun aura l'obligation envers l'organisation d'accomplir ce qu'il a entrepris et ce qui a été défini comme une priorité. Il est évident que nous cherchons à concilier les activités que chacun aime faire avec les priorités fixées par l'organisation, mais nous ne devons pas toujours ne faire que ce que nous aimons faire. Un modèle especifista implique que nous devons faire des choses que nous n'aimons pas beaucoup ou cesser de faire certaines choses que nous aimons beaucoup. Il s'agit de s'assurer que l'organisation procède avec stratégie, tout le monde faisant avancer le bateau dans la même direction.

Nous critiquons avec insistance les organisations qui ne fonctionnent pas avec stratégie. Pour nous, il n'est pas possible de travailler dans une organisation dans laquelle chaque militant ou groupe fait ce qu'il juge le meilleur, ou tout simplement ce qu'il aime faire, croyant contribuer à un ensemble commun. Généralement, quand des anarchistes de tous types sont regroupés dans une organisation, sans avoir d'affinités stratégiques, il n'y a pas d'accord sur la façon d'agir. Autrement dit, il n'est pas possible d'établir une façon de procéder, et il n'y a qu'un seul point d'accord: que les choses doivent continuer telle qu'elle sont.

Comment concevez-vous une organisation dans laquelle vous cherchez à concilier un groupe qui croit qu'il devrait agir comme une organisation spécifique dans un mouvement social avec un groupe qui pense que la priorité devrait être l'interaction sociale entre amis, une thérapie de groupe ou même l'exaltation de l'individu, considérant la pratique dans les mouvements sociaux comme autoritaire (ou même marxiste ou assistencialiste)? Il ya deux façons de gérer ces différences: soit vous discutez des problèmes, et vivez entre les combats et le stress qui consomment une grande partie du temps, ou vous n'abordez tout simplement pas ces questions. La plupart des organisations de ce type optent pour la deuxième forme.
Afin d'établir un certain degré de coordination dans l'action, la coordination nécessaire, je crois, parmi les personnes qui tendent vers le même objectif, certaines conditions s'imposent : un certain nombre de règles qui relient chacun à tous, certains pactes et accords fréquemment révisés - si tout cela manque, si chacun fonctionne comme cela leur plaît, les personnes les plus sérieuses vont se retrouver dans une situation où les efforts de certains, seront neutralisés par ceux des autres. Cela se traduira par la discorde et non l'harmonie et la confiance sereine à laquelle nous tendons. [187]

L'unité idéologique, théorique et stratégique et l'unité tactique sont atteintes grâce au processus de prise de décision collective adopté par les organisations spécifiques, c'est à dire une tentative de consensus et, si cela n'est pas possible, le vote - la majorité l'emportant. Comme nous l'avons également souligné, dans ce cas l'ensemble de l'organisation adopte la décision majoritaire. De manière différente, il existe des organisations qui ne fonctionnent que par consensus, ce qui permet souvent à l'une ou l'autre personne d'avoir une influence exagérée sur un processus de prise de décision qui implique un nombre bien plus important de personnes. Recherchant le consensus à tout prix, et ayant peur de la scission, ces organisations permettent à l'une ou l'autre personne d'avoir un poids disproportionné dans les décisions, dans le seul but de parvenir à un consensus. D'autres fois, elles passent des heures sur des discussions de peu d'importance seulement pour rechercher un consensus. Nous avons à l'esprit que le processus de prise de décision est un moyen et non une fin en soi.

L'obligation pour tout le monde de suivre le même chemin - qui est une règle dans l'especifismo - est un engagement que l'organisation prend envers sa stratégie, parce que, si à chaque fois qu'une décision prise déplait à quelques militants, ceux-ci refusent de réaliser le travail, il sera impossible pour l'organisation d'avancer. Dans le cas du droit de vote, il est important de garder à l'esprit que, à un moment donné, certains vont être majoritaire et travaillerons sur la base de leur proposition; à un autre moment, ils seront minoritaires et travaillerons sur la proposition d'autres camarades. Avec cette forme de prise de décision on donne plus d'importance aux délibérations collectives qu'aux points de vue individuels.

Il y a une différence, même, concernant les points centraux qui favorisent l'organisation spécifique : l'engagement, la responsabilité et l'auto-discipline des militants au sein de l'organisation. Dans le modèle especifista il ya un niveau élevé d'engagement militant. Ainsi, il est essentiel que les militants prennent des engagements devant l'organisation et les mettent en œuvre. L'engagement militant forge un lien entre le militant et l'organisation, qui est une relation mutuelle dans laquelle l'organisation est responsable du militant, de même que le militant est responsable de l'organisation. De même que l'organisation doit satisfaire le militant, le militant doit satisfaire l'organisation.

Le manque d'engagement, de responsabilité et d'auto-discipline constitue un problème majeur dans de nombreux groupes anarchistes et organisations. Il est très fréquent pour les personnes de se réunir et de participer plus ou moins aux activités, ne faisant que ce qui les intéresse, participant aux décisions, prenant des engagements et ne les tenant pas ou, tout simplement, ne prenant pas d ' engagements. Il y a beaucoup d'organisations qui cautionnent ce manque d'engagement militant. Il est indéniable que, pour cette raison, il est « cool » de faire partie de ces organisations, cependant, elles ne sont pas très efficace d'un point de vue militant. Comme le militantisme, pour nous, est quelque chose de nécessaire dans la lutte pour une société libre et égalitaire, nous ne croyons pas que ce sera toujours «cool». Si nous avions à choisir entre un modèle plus efficace de militantisme et un autre plus «cool», nous aurions à opter pour l'efficacité.

Pour le travail impliquant l'engagement militant l'especifismo maintient une organisation avec des niveaux d'engagement. Comme nous l'avons expliqué, nous préconisons la logique de cercles concentriques dans lesquels tous les militants ont un espace bien défini dans l'organisation, un espace qui est déterminé par le niveau d'engagement que le militant veut assumer. Plus ils veulent s'engager, Plus ils seront à l'intérieur de l'organisation, et plus grand sera leur pouvoir délibérant. Par conséquent, tant au plan politique qu'au plan social il y a des critères d'entrée bien définis, depuis les instances de soutien ou les groupements de tendance jusqu'à l'organisation spécifique anarchiste. Seuls les militants ayant une affinité idéologique avec l'organisation sont adhérent à l'organisation spécifique anarchiste.

Contrairement au modèle especifista, il y a d'autres organisations où le seul critère pour l'adhésion des militants est qu'ils se définissent comme des anarchistes, quelle que soit leur conception de l'anarchisme. Certaines personnes participent un peu à l'organisation, d'autres sont plus engagées, certains assument davantage de responsabilités que d'autres et tous ont le même pouvoir de délibération. Par conséquent, beaucoup délibèrent sur des activités qu'ils ne vont pas réaliser, c'est à dire, qu'ils déterminent ce que les autres vont faire. Quand une organisation permet à quelqu'un de délibérer sur quelque chose et de ne pas assumer de responsabilités, ou qu'on assume des responsabilités et ne les tienne pas elle laisse la place à un autoritarisme de ceux qui délibèrent et mettent le travail sur le dos d'autres camarades. Enfin, dans cet autre modèle, chacun s'implique de la manière qu'il perçoit la meilleure, apparaissant quand il pense qu'il le devrait, et il y a peu d'accent mis sur la question de l'engagement militant. Beaucoup, quand ils sont interrogés, s'affirment eux-mêmes victimes de l'autoritarisme. Comme nous l'avons expliqué, pour nous, ce modèle d'organisation, en plus de surcharger les militants les plus responsables, finit par rendre possible l'écart consistant à ce que des personnes ne délibèrent et ne travaillent pas dans la même proportion.

Par conséquent, nous ne voulons pas être ce grand «parapluie» qui couvre tous les types d'anarchistes. Ces (in)définitions au sens large groupent en apparence plus d'anarchistes dans l'organisation, cependant, nous croyons que nous ne devrions pas opter pour le critère de la quantité, mais de la qualité des militants.
Il ne fait aucun doute que si nous évitons de bien préciser notre vrai caractère le nombre de nos adhérents pourrait devenir plus grand. [...] Il est évident, d'autre part, que si nous proclamons haut et fort nos principes le nombre de nos adhérents sera moindre, mais au moins ils seront des adhérents sérieux sur lesquels nous pouvons compter. [188]

Une différence pertinente se produit également autour de la question de l'individualisme anarchiste. L'Especifismo signifie un rejet total et absolu de l'individualisme anarchiste. Pour cette raison, il diffère des autres organisations qui sont prêtes à travailler avec les individualistes. Pour nous, il existe deux types d'individualistes dans l'anarchisme. Un type, qui était plus fréquent dans le passé, de gens qui préfèrent travailler seuls, mais qui ont à l'esprit le même projet que nous. Chez ces personnes nous ne devons critiquer que le fait que, étant désorganisés, ils ne peuvent pas potentialiser les résultats de leurs pratiques. Un autre type, aujourd'hui plus visible, renonce au projet socialiste. Sur la base de la critique anarchiste de l'Etat, ils ont peu de critiques du capitalisme, et aucune activité dans le sens de transformer la réalité sociale dans laquelle nous vivons. En se plaçant dans l'état de simples observateurs critiques de la société, ils construisent un anarchisme de penseurs secondaires et des références, tout simplement autour de la critique. Ils n'ont pas de projet de société, encore moins une action cohérente qui pointe vers cette nouvelle société. On peut se demander :

Que reste-t-il alors pour nous de l'individualisme anarchiste? Le déni de la lutte des classes, le refus du principe d'une organisation anarchiste, dont le but est la société libre des travailleurs égaux : et plus encore, le charlatanisme incitant les travailleurs mécontents de leur existence à recourir à des solutions individuelles, qui s'offrent soi-disant à eux en tant qu'individus libérés. [189]

Ainsi, ils exacerbent le rôle de la liberté individuelle, qui, détachée de la liberté collective devient juste un plaisir pour la jouissance égoïste de quelques-uns qui peuvent, grâce à leurs privilèges au sein du capitalisme, se le permettre. En réalité, la liberté individuelle ne peut exister que dans la liberté collective, car l'esclavage des autres limite la liberté de chacun, et la pleine liberté individuelle ne peut être réalisé qu'au moment où, collectivement, nous sommes tous libres. Nous sommes d'accord avec Bakounine, quand il dit :

    Je ne peux me considérer et me sentir libre qu'en présence et en relation avec d'autres hommes. [...] Je ne suis vraiment libre que lorsque tous les êtres humains autour de moi, hommes et femmes, sont également libres. La liberté de l'autre, loin d'être une limitation ou la négation de de ma liberté, en est, au contraire, la condition nécessaire et la confirmation. Seule la liberté d'autrui me rend réellement libre, de telle sorte que, plus nombreux sont les hommes libres qui m'entourent, et plus étendue et plus large est leur liberté, plus grande et plus profonde deviendra ma liberté. [...] Ma liberté personnelle ainsi confirmée par la liberté de tous s'étend à l'infini. [190]

Pour nous, il est impossible de chercher la liberté individuelle dans une société comme la nôtre, dans lequel des millions n'ont pas accès aux nécessités les plus élémentaires d'un être humain. On ne peut pas penser à un anarchisme purement individuel comme un moyen de se positionner dans le monde, d'avoir un mode de vie différent. Pour les individualistes, dans la plupart des cas, être un anarchiste signifie être un artiste, un bohème, promouvoir la liberté sexuelle d'avoir des relations ouvertes ou avec plus d'un partenaire, porter des vêtements différents, avoir une coupe de cheveux excentrique, se comporter de manière extravagante, manger des aliments différents, se définir personnellement, s'épanouir personnellement, être contre la révolution, être contre le socialisme, avoir un discours sans queue ni tête (?!) (!) - jouir de la liberté de l'esthétique - en bref, devenir apolitique. Nous sommes en désaccord fondamental avec cette position et croyons que les influences dans ce sens sont désastreuses pour l'anarchisme, dissuadant les militants sérieux et engagés. Enfin, nous sommes d'accord avec Malatesta quand il a affirmé :
Il est vrai que nous aimerions, nous tous, être d'accord et unir en un seul, puissant faisceau toutes les forces de l'anarchisme. Mais nous ne croyons pas dans la solidité des organisations faites par la force de concessions et des restrictions, où il n'y a pas une réelle sympathie et un réel accord entre les membres. Il est préférable d'être désunis que mal unis. [191]

Pour nous le choix du modèle le plus approprié d'organisation anarchiste est crucial pour que nous ayons les moyens les plus appropriés, cohérents avec les fins que nous cherchons à atteindre. Si nous préconisons l'especifismo, qui est une forme d'organisation anarchiste, c'est parce que nous croyons qu'il est aujourd'hui le plus approprié pour le travail nous avons l'intention d'effectuer. Nous comprenons qu'il y a des anarchistes qui ne soient pas d'accord avec l'especifismo, et nous ne pensons pas qu'ils sont moins anarchistes à cause de cela. Nous ne réclamons que le respect de notre choix, de même que nous respectons ceux qui ont fait d'autres choix.

***
Nous passons maintenant, brièvement, à la perspective et aux influences historiques de l'especifismo. Comme nous l'avons vu le terme especifismo a été développé par la FAU et n'est arrivé au Brésil qu'à la fin du XXe siècle. Néanmoins, ce terme, plus que de créer une nouvelle conception de l'organisation anarchiste, a cherché à regrouper une série de conceptions organisationnelles anarchistes déjà existantes, qui ont pris forme à partir du dix-neuvième siècle. L'especifismo de la FAU affirme l'influence de Bakounine et Malatesta, de la lutte de classe de l'anarcho-syndicalisme, de l'anarchisme expropriateur; tout cela dans un contexte latino-américain. Nous allons tenter d'expliquer dans les paragraphes suivants, à partir de notre propre conception, la façon dont nous comprenons l'expérience historique de l'especifismo : les principales expériences passées, en termes d'organisation anarchiste, qui nous influencent aujourd'hui.

La première référence historique de l'Especifismo est Bakounine, à partir des conceptions organisationnelles qui constituent l'activité des libertaires au sein de l'Association internationale des travailleurs (AIT), et qui ont donné corps à l'anarchisme.

L'AIT s'est développée à partir des visites des représentants des associations de travailleurs français en Angleterre, où ils ont contacté les leaders syndicaux 'anglais et allemands exilés - parmi ces derniers, Karl Marx. Politiquement, la composition de l'AIT apparaissait hétérogène : marxistes, blanquistes, républicains, syndicalistes et fédéralistes proudhoniens. Les marxistes ont fini par former une majorité dans le processus décisionnel au sein du Comité Central, s'alliant avec des membres d'autres courants et prenant le contrôle de cet organisme. Cette situation a persisté même après la substitution du Comité central par le Conseil général par le Congrès de 1866 à Genève. Là, on pouvait constater que les anarchistes, qu'ils soient inspirés par Proudhon ou adeptes de Bakounine, n'avaient aucun poids dans l'exécutif central de l'association. Ils avaient plus d'influence par le biais de la base, comme les congrès en témoignaient.

Deux tendances se sont développées au sein de l'AIT : l'une centraliste et l'autre fédéraliste. Parmi les centralistes autoritaires se détachaient les communistes, théoriquement et politiquement guidés par Marx, qui concevaient l'AIT comme un instrument pour amener le prolétariat au pouvoir politique. Ils cherchaient à constituer un appareil d'État ouvrier pour la transformation de la société capitaliste en communisme à travers une période transitoire de ré-organisation, devant nécessairement être entreprise sous une dictature. Parmi les fédéralistes libertaires étaient les anarchistes, qui prônaient la révolution sociale avec la suppression immédiate de tous les organes du pouvoir et de la formation d'une nouvelle société basée sur l'organisation des travailleurs libre et fédéraliste, en fonction de leurs professions, de leurs problèmes et leurs intérêts.

Cette divergence fondamentale avait été présent dès le début et elle était déjà clairement visible au Congrès de Genève, la première rencontre plénière de l'Internationale. Les mutualistes proudhoniens se sont opposés aux autoritaires, menant le débat soutenu par les collectivistes qui appartenaient déjà à l'AIT avant que Bakounine s'y soit affilié. Au congrès de Lausanne (1867) et de Bruxelles (1868) le collectivisme était rapidement parvenu à gagner du terrain par rapport au mutualisme, et à Bâle (1869) la présence collectiviste était fortement prédominante parmi ceux opposés à l'autorité, renforcée par la présence de Bakounine . Dans le camp opposé, Marx, tout en évitant de prendre un engagement personnel dans le congrès, est intervenu par le biais des programmes, des rapports, des bulletins et des propositions du Conseil. A Bâle, Bakounine a présenté une proposition contre le droit d'héritage. Marx s'opposait à lui, mais la proposition a été approuvée.
Toujours dans le cadre de l'AIT Bakounine, de concert avec d'autres militants anarchistes, a formé l'Alliance de la démocratie socialiste, qui sera accepté comme une section de l'AIT en 1869. Nous considérons l'Alliance comme une organisation spécifique anarchiste (plan politique) qui a fonctionné au sein de l'AIT (plan social). L'Alliance est une organisation de la minorité active composée des «plus sûrs, les plus dévoués, les membres les plus intelligents et les plus énergiques, en un mot, par les plus proche" [192]. Elle a été formé pour agir secrètement afin de répondre aux questions que l'on ne pouvait pas aborder publiquement et agir comme un catalyseur dans le mouvement ouvrier. L'Alliance définissait la relation entre les plans sociaux et politiques:
    L'Alliance est le complément nécessaire de l'Internationale ... - Mais l'Internationale et l'Alliance, tout en tendant vers le même objectif final, poursuivent des objectifs différents en même temps. L'une a comme mission d'unir les masses laborieuses, des millions de travailleurs, à travers les différences des peuples et des pays, à travers les frontières de tous les Etats, en un seul corps immense et compact, l'autre, l'Alliance, a pour mission de donner aux masses une orientation véritablement révolutionnaire. Les programmes de l'un et l'autre, sans être opposés du tout, sont différents par le degré de leur développement respectif. Celui de l'internationale, si nous le prenons au sérieux, porte aussi en germe, mais seulement en germe, la totalité du programme de l'Alliance. Le programme de l'Alliance est l'explication ultime du programme de l'Internationale. [193]
La pratique de l'Alliance au sein de l'AIT a amené la tendance autoritaire à chercher à isoler et discréditer la pratique des libertaires. Après le Congrès de Bâle les attaques contre le groupe collectiviste se sont intensifiée. En 1870, Marx a adressé deux communications privées du Conseil général aux sections de l'AIT, avec de sévères critiques des positions bakouninistes. Avec cela, il a préparé le climat de la Conférence de Londres de l'année suivante, au cours de laquelle le groupe marxiste a tenté d'imposer la doctrine de la conquête du pouvoir d'Etat, et du Congrès de La Haye de 1872. Dans cette plénière, il a demandé l'expulsion de Bakounine de l'AIT, qu'il a obtenu. En 1874, l'Internationale était morte.

La deuxième référence historique de l'especifismo est Malatesta, un militant qui est venu se joindre à l'Alliance bakouniniste et qui était un représentant du courant organisationaliste du communisme anarchiste. Succédant à la tradition collectiviste de l'anarchisme du temps de Bakounine- qui préconise, dans la société future, la distribution à chacun selon son travail - est né le courant anarchiste communiste - qui a depuis lors préconisé la distribution à chacun selon leurs besoins. Malatesta s'est distingué par la défense, au sein de ce courant, de positions contre l'évolutionnisme et le scientisme présent dans une grande partie du mouvement socialiste. Pour Malatesta, l'avenir ne serait pas nécessairement déterminé et ne pourrait être modifié que par la volonté, par une intervention volontariste dans les événements afin de fournir la transformation sociale souhaitée.

Critique virulent de l'individualisme, Malatesta a préconisé un l'anarchisme complètement basé sur l'organisation, un anarchisme que nous pourrions appeler "organisationaliste", et qui, comme l'anarchisme de Bakounine, a réaffirmé un rôle distinct au plan social et politique. Au plan politique, Malatesta a développé sa conception de l'organisation spécifique anarchiste, qu'il a appelé le parti anarchiste [194]: «par parti anarchiste, nous comprenons tous ceux qui veulent contribuer à la réalisation l'anarchie, et qui, par conséquent, ont besoin de se fixer un objectif à atteindre et un chemin à parcourir pour cela "[195]. Cette organisation devait agir dans ce qui était nommé «mouvements de masse » à l'époque et les influencer autant que possible, et les syndicats étaient le terrain préféré choisi pour l'activité anarchiste. Malatesta clairement souligné les différences entre le plan politique de l'anarchisme et le plan social, l'espace d'insertion qui était constitué, à l'époque, par le syndicalisme :

    À mon avis, le mouvement ouvrier n'est qu'un moyen - bien qu'il n'y ait pas de doute que ce soit le meilleurs moyen dont nous disposons. Mais je refuse d'accepter ce moyen comme une fin [...]. Les syndicalistes, d'autre part, ont une certaine tendance à transformer les moyens en fins et à prendre les parties pour le tout. Et, de cette manière, pour certains d'entre nous le syndicalisme commence à se transformer en une nouvelle doctrine qui menace l'existence même de l'anarchisme. [...] Je déplorais, dans le passé, que les camarades se soient isolés du mouvement ouvrier. Je déplore aujourd'hui qu'à l'extrême inverse, beaucoup d'entre nous nous se laissent absorber par ce même mouvement. Une fois de plus, l'organisation de la classe ouvrière, la grève, l'action directe, le boycott, le sabotage et l'insurrection armée elle-même ne sont que le moyen, l'anarchie, c'est la fin. [196]

Préconisant un anarchisme qui cherche la transformation sociale par la volonté, Malatesta croyait, comme nous le pensons aujourd'hui, que l'organisation spécifique anarchiste doit agir dans la lutte des classes, au milieu des mouvements sociaux et, avec eux, atteindre la révolution sociale et le socialisme libertaire - qu'il a appelé l'anarchie. Pour cela Malatesta a cherché à créer deux organisations spécifiques anarchistes, le Parti Socialiste Révolutionnaire Anarchiste Italien et l'Union anarchiste italienne, ainsi que des organisations qui ont agi sur le plan social, comme l'Union Syndicale Italienne (USI), l'Alliance du Travail, et les syndicats en Argentine. Les positions de Malatesta ont été largement diffusés par Luigi Fabbri, un autre anarchiste communiste italien, qui a également apporté une contribution significative à l'especifismo.

Une expérience importante pour l'especifismo, dans notre conception, a été aussi celle du Magonisme dans la phase radicale du Parti libéral mexicain (PLM). Ricardo Flores Magón, son militant le plus actif, a rejoint le PLM en 1901 – qui avait été fondée un an plus tôt. Pendant la dictature de Porfirio Diaz le PLM comme la revue Régénération étaient les adversaires principaux du régime. Dès la seconde moitié des années 1900 le PLM s'est radicalisé, tenant un discours plus combatif et créant une tension interne au sein du parti, qui a aboutit à l'éviction des éléments les moins radicaux. Le PLM ne participa pas aux élections et servit seulement d'espace pour l'articulation politique et horizontale des révolutionnaires libertaires de l'époque - sans les objectifs de la prise de l'Etat et de l'établissement d'une dictature – pour mettre un terme au gouvernement Diaz, établir le communisme libertaire par la suite. Le PLM est devenu clandestin et a organisé plus de 40 groupes de résistance armée à travers le Mexique et a également eu des membres indigènes, connus pour leur lutte pour les droits des communautés et contre la propriété capitaliste. Après la radicalisation, Francisco Madero affirma son désaccord avec l'idée que les moyens pacifiques de chasser Diaz du pouvoir seraient épuisé.

La fraude électorale de 1910 dirigée par Diaz initia l'explosion de la révolution mexicaine. Avec l'arrestation de Madero, son adversaire lors des élections réussit à se faire réélire. Exilé à San Antonio, au Texas, Madero élabora le Plan de San Luis, appelant à un soulèvement armé, tout en déclarant nulles les élections de 1910, rejetant l'élection de Diaz et s'instituant lui-même en tant que président provisoire. De nombreux rebelles répondirent à l'appel révolutionnaire; parmi eux Emiliano Zapata, qui joua un rôle important dans l'organisation des populations autochtones de la région de Morelos, et Pancho Villa, un ancien voleur de bétail et voleur de banque, reconnu depuis longtemps par les humbles de la Durango et des régions de Chihuahua. Ils étaient unis dans un front anti-re-electioniste, qui a donné à chaque groupe un degré relatif d'autonomie et d'indépendance. En 1911, au coeur de la révolution et avec le soutien du syndicat des International Worker of the World d'Amérique du Nord (IWW) les anarchistes, avec Magón à leur tête, occupèrent la région de Baja California, en prenant des villes importantes comme Mexicali. À la fin de Janvier, ils constituaient la République socialiste de Basse-Californie, la première république socialiste au monde. Les Magonistes remportèrent également des victoires dans des villes comme Nuevo Leon, Chihuahua, Sonora, Guadalupe et Casas Grandes, des espaces qui furent perdus après la répression occasionnée par le gouvernement Madero.

Les révoltes organisées par Zapata à Morelos et le Plan Ayala jouèrent le rôle d'instruments de la lutte des paysans pour la révolution, toujours inspirée par le slogan, "Terre et liberté", lancé pour la première fois par Praxedis Guerrero et diffusé par les Magonistes. L'invitation faite à Magon par Zapata d'installer Regeneración dans l'état de Morelos fut le fruit de cette relation importante entre zapatistes et Magonistes.

Après cela le Mexique s'enfonça dans une période de guerre civile et essaya d'établir une Convention à la fin de l'année 1914. Les événements qui ont se succédèrent, comme la tenative de prise de Mexico par Villa et Zapata, la convocation de l'Assemblée constituante par Carranza, qui allait plus tard être élu président, puis être assassiné, et les conflits qui ont suivi dans le pays ont finalement fini par former la toile de fond du déclin de la période révolutionnaire dans le pays.

Une autre référence historique importante de l'especifismo est la participation anarchiste à la révolution russe. Au début de 1917, plusieurs régiments se mutinèrent à Saint-Pétersbourg, un gouvernement provisoire fut formé acclamé par le parlement, et les soviets de 1905 réapparurent. Le slogan, « tout le pouvoir aux soviets » était évident. Sur le terrain, dans le sud de l'Ukraine, les paysans de Gouliaï-Polé, un village qui, depuis la révolution de 1905 avait une forte organisation anarchiste, fondèrent l'Union des paysans, qui décida de se battre pour la révolution sociale indépendamment du gouvernement, cherchant l'autogestion des moyens de production. A Petrograd, le courant anarchiste fit valoir le contrôle ouvrier dans les usines et les marins de Cronstadt, portant des drapeaux rouges et noirs, marchèrent sur la ville avec l'objectif d'instituer une république soviétique et auto-gérée. En Octobre les soldats anarchistes et bolcheviques agissant de concert furent en mesure de prendre le Palais d'Hiver, puis se creusat un fossé entre les éléments révolutionnaires autoritaires et libertaires. Les premiers avaient pour objectif de saisir l'appareil d'Etat et de s'orienter vers la dictature du Parti (bolchevik), dirigé par un comité central tout-puissant; Les second pour le communisme libertaire et autogérée sous la forme de conseils de soviets d'ouvriers, paysans et du peuple en armes.

Progressivement, les bolcheviks commencèrent à nier, supprimer, empêcher et, enfin, interdire la diffusion des idées libertaires et les pratiques. Dès 1918, les bolcheviks se positionnèrent contre le contrôle ouvrier des usines, encouragèrent la discipline aveugle de travailleurs envers le parti, et consolidèrent progressivement l'interdiction de l'opposition au parti. Ils militarisèrent le travail, expulsèrent les dirigeants élus des soviets, contraignirent ceux-ci [les soviets] à se soumettre au pouvoir central du parti et interdirent les grèves.

Dans la lutte contre l'armée blanche l'armée insurrectionnelle de Makhno en Ukraine s'est alliée avec les bolcheviks plus d'une fois. Après avoir défait la menace blanche l'armée makhnoviste a été attaquée et persécutée par l'Armée rouge, forçant les survivants à se réfugier dans d'autres pays.
C'était la fin du processus de socialisation auto-gérée en Ukraine, réprimée par les bolcheviks au profit de formes étatiques et totalitaire d'organisation et de contrôle social pour le compte d'une nouvelle classe dirigeante. Les marins de Cronstadt - qui exigeaient que les délégués des soviets soient de nouveau désignés par des élections, la liberté pour les anarchistes et les autres groupes de gauche; que les syndicats et les organisations paysannes s'unissent de nouveau, la libération des prisonniers politiques, l'abolition des agents politiques; et la même nourriture pour tous - ont été tués par les bolcheviks.

Si cette révolution prolétarienne et libertaire a été usurpée et dominée par les bolcheviks, dès leur saisie de l'appareil d'État, les anarchistes ont également péché par omission sur la question de l'organisation. Cette réflexion a été officialisée quelques années plus tard par des immigrants russes qui étaient en Europe, dans un document appelé la Plate-forme organisationnelle des communistes libertaires. Makhno, Archinov et d'autres ont formalisé dans le présent document leur considérations sur l'organisation anarchiste, informés par les expériences de la Révolution russe. Ce document a amené des contributions importantes sur l'importance de l'implication des anarchistes dans la lutte des classes, la nécessité d'une révolution sociale violente qui renverse le capitalisme et l'État et qui établisse le communisme libertaire. Il y a eu aussi une importante contribution sur la question de la transition du capitalisme au communisme libertaire et sur la défense de la révolution. La plate-forme préconise une organisation anarchiste, au plan politique, qui agit au sein des mouvements sociaux, au plan social, et souligne le rôle de minorité active de l'organisation anarchiste. En outre, elle apporte des contributions importantes sur le modèle d'organisation du plan politique des anarchistes. Pour ces raisons, elle est un document important et a une influence considérable sur l'especifismo.

Cependant, nous ne croyons pas que l'especifismo est la même chose que le plateformisme. Comme nous avons essayé de le montrer tout au long de ce texte, pour nous, l'especifismo est beaucoup plus large que le plateformisme et trouve son fondement théorique dans les conceptions organisationnelles de Bakounine et Malatesta. Pour nous, la plate-forme s'inspire à la fois de ces auteurs et apporte de nouvelles contributions et devrait donc être considérée comme une contribution à l'especifismo, mais pas la plus importante contribution. Un autre facteur à prendre en compte est que la plate-forme a été écrite à partir d'une expérience d'action armée des anarchistes au sein d'un processus révolutionnaire, et ne doit pas être détachée de ce contexte. Nous considérons que cette forme d'organisation, telle qu'elle est exprimée dans la plate-forme, ne doit pas être appliquée dans tous ses détails dans les situations non-révolutionnaires. Elle est plus une contribution à la discussion de l'action armée anarchiste qu'un document pour discuter de l'organisation anarchiste dans tous les différents contextes.

Comme la Révolution russe, nous considérons aussi la révolution espagnole de 1936 comme une référence. Au cours de ces années une révolution sociale a été effectivement réalisée. Une révolution sous le feu qui voulait toucher tous les secteurs, des structures économiques injustes à la vie quotidienne de la population; des notions décrépites de la hiérarchie aux inégalités historiques entre les hommes et les femmes. Et tout cela était l'œuvre des anarchistes.

Les influences de l'anarchisme ont été introduites en Espagne par Giuseppe Fanelli, allianciste et militant très proche de Bakounine. Fondée en 1910, la Confédération nationale du Travail (Confederación Nacional del Trabajo - CNT) a été la plus grande expression de l'anarcho-syndicalisme en Espagne et a vécu, jusqu'aux années 1920, entre des moments de flux et de reflux sous une répression constante, dont elle était victime. Fondée en 1927, la Fédération Anarchiste Ibérique (Federación Anarquista Ibérica - FAI) était une organisation clandestine dédié à l'activité révolutionnaire qui, parmi ses objectifs, a cherché à s'opposer aux courants réformistes de la CNT. L'action entreprise fut un succès, et les anarchistes révolutionnaires obtinrent l'hégémonie dans la CNT.

En 1936, le Front populaire (regroupant les partis de gauche) fut en mesure de gagner les électionss. Les anarchistes de la CNT finirent par soutenir de manière tactique le Front parce que cela signifierait la libération de camarades emprisonnés. Avec l'approbation de la CNT la victoire du Front populaire fut rendue possible. Cependant, les fascistes n'acceptèrent pas la défaite. Le 18 Juillet 1936, le coup d'état du mouvement phalangiste coup éclate, au sein duquel Francisco Franco se démarqua. Ainsi débuta l'explosion révolutionnaire qui jettera le pays dans trois ans de guerre civile. Au cours de la première phase (Juillet 1936 à début 1937), les anarchistes étaient parmi les groupes les plus importants. L'action des militants dans des secteurs tels que la Catalogne fut exemplaire. Les structures républicaines furent transformées en organisations populaires dans un processus intense et fructueux de collectivisation. Les usines furent occupés et des mesures sociales immédiates furent mises en pratique, telles que: l'égalité de rémunération entre les hommes et les femmes, les services médicaux gratuits, le salaire permanent en cas de maladie, la réduction des heures de travail et une rémunération accrue. La Métallurgie, l'industrie du bois, le transport, la nourriture, la santé, les médias et services de divertissement et les propriétés rurales furent collectivisées. Afin de lutter contre les forces fascistes, ils s'organisèrent en milices, qui avancèrent sur certains fronts, notamment la colonne dirigée par Buenaventura Durruti.

Au cours de la deuxième phase (1937-1939) le progrès de la contre-révolution fut dévastateur. Les Phalangistes eurent un soutien massif d'Hitler et de Mussolini. La résistance était mal armés et en infériorité numérique. Les Brigades internationales, formées pour stopper l'avancée nazie-fasciste, avaient peu de combattants. En outre elles ne recevaient pas d'aide des nations libérales (la France et l'Angleterre), qui une fois de plus s'en lavaient les mains. Le «soutien» de l'URSS s'avéra être un vrai «cheval de Troie" . Au sein de la lutte contre le fascisme une traque parallèle - menée par les staliniens – contre les anarchistes et les hétérodoxes du Parti Ouvrier d'Unification Marxiste (POUM) eu lieu. Les progrès réalisés par la CNT / FAI furent détruits par ceux qui cherchaient à rétablir les fondements de l'Etat (les secteurs modérés de la République, les communistes et les socialistes). Les communistes commencèrent à gagner des positions clés au sein du gouvernement. Les anarchistes durent céder une fois de plus à des circonstances défavorables: certains membres de la CNT finirent par participer au gouvernement.
Au Brésil, nous pouvons dire que, puisque le courant especifista n'était en fait pas réalisé pleinement, nos références idéologiques se rapportent à certaines initiatives du passé et d'autres que nous pensons représentatives du même courant dans le pays au cours l'histoire plus récente. Nous considérons que dès les premières années du XXe siècle des anarchistes liées à l'"organisationalisme", en particulier des disciples Malatesta, luttèrent pour organiser un certain nombre de camarades en vue de former une organisation avec des stratégies communes et des tactiques, basées sur des accords tactiques et une compréhension de groupe claire.
Ce sont eux qui furent responsables de la tenue du Premier Congrès des travailleurs du Brésil en 1906, et des initiatives les plus stupéfiantes de l'anarchisme national. Ces anarchistes préparèrent les conditions qui permirent la pleine insertion des anarchistes dans les syndicats et dans la vie sociale, avec la formation d'écoles et de groupes de théâtre, outre une production écrite significative. Ce fut également, dans une large mesure, le courant "organisationalist" qui aida le cas échéant à la préparation de l'insurrection anarchiste de 1918, à la création de l'Alliance anarchiste de Rio de Janeiro, à la formation du Parti communiste brésilien à caractère libertaire, et des événements qui distinguèrent les anarchistes des bolcheviks dans les années 1920.

Dans cette première phase les noms de Neno Vasco, José Oiticica, Domingos Passos, Juan Peres Bouzas, Astrojildo Pereira (jusqu'en 1920) et Fábio Luz se démarquèrent. Plus tard, après que l'anarchisme social ai été en sommeil pendant près de deux décennies, une partie de la tradition organisationaliste refit surface dans la revue Direta Ação (action directe), puis, avec le coup d'Etat militaire de 1964, nous perdîmes de nouveau principale force dans ce champ, représentée par M. Idéal Peres et les étudiants du Mouvement des étudiants libertaire (Movimento Libertario Estudantil – MEL).

Enfin, une autre influence latine sur l'especifismo que nous préconisons est la Fédération Anarchiste Uruguayenne (Federación Anarquista Uruguyaya - FAU), créé en 1956 sous l'influence de la lutte des classes et des anarcho-syndicalistes, des modèles d'organisation de Bakounine et Malatesta, et de l'anarchisme expropriateur de la région de Plate River . Cherchant à développer un anarchisme qui se confronte aux problèmes latino-américains la FAU a, depuis sa création, développé des pratiques sur différents fronts. Elle a participé aux activités syndicales de la Convention nationale des travailleurs (CNT), qui a eu un modèle non-bureaucratique, avec une démocratie interne et des tendances lutte de classe. Des associations d'action directes ont été établis au sein de ce qui était dénomée « la Tendance Combative. » Suite à son illégalisation en 1967 la FAU entra dans la clandestinité.

Même au cours de cette période de clandestinité, avec beaucoup de répression et d'arrestation de militants, la FAU réussit à maintenir son activité syndicale dans la CNT, dans le mouvement étudiant et dans la lutte contre le collaborationnisme du Parti communiste (PC). Elle a diffusé sa publication Cartas de la FAU (Lettres de la FAU). En 1968, la résistance ouvrière et étudiante (ROE) fut fondée, une cadre d'organisation de masse qui adopta une stratégie de confrontation, avec des occupations d'usines avec la participation des étudiants et avec la participation de syndicalistes lors de manifestations estudiantines. A la fin des années 1960, parallèlement à l'organisation de masse, la FAU développa l'organisation de son «bras armé», l'Organisation populaire révolutionnaire- 33 (Organización Popular Revolucionaria – 33, OPR-33), qui réalisa une série d'actions de sabotage, d'expropriations économiques, d'enlèvements de politiciens et de patrons particulièrement détestés par le peuple, le soutien armé aux grèves et l'occupation de locaux, etc La FAU abandonna le foquisme comme paradigme de la lutte armée, évitant la militarisation tout en ayant une insertion sociale dans la population. Avec la dictature de 1973, la FAU orienta ses efforts vers une grève générale qui paralysa le pays pendant près d'un mois. Elle effectua le travail clandestin et eu plusieurs militants arrêtés, torturés et tués. Avec l'ouverture politique, elle se réorganisa et développa son travail sur le modèle especifista que nous préconisons aujourd'hui, avec trois fronts d'insertion: syndical, étudiant, et communautaire/de quartier.

En bref, notre conception des références historiques de l'especifismo n'est pas dogmatique. Nous avons des idées générales qui commencent par les idées de Bakounine et des alliancistes de l'AIT, qui passent par les conceptions de Malatesta et ses expériences pratiques aux plans social et politique, ainsi que les expériences de Magón et du PLM dans la Révolution mexicaine. Nous sommes aussi influencés par les expériences des anarchistes dans la révolution russe, en mettant l'accent sur les makhnovistes en Ukraine et les réflexions organisationnelles développées par les Russes en exil, ainsi que les expériences des anarchistes dans la révolution espagnole autour de la CNT- FAI. Au Brésil, nous sommes influencés par l'anarchisme "organisationaliste", mettant en évidence les expériences de l'Alliance anarchiste de Rio de Janeiro de 1918 et du Parti communiste (libertaire) de 1919. Enfin, nous sommes influencés par la FAU, à la fois dans sa lutte contre la dictature, comme dans son activité dans les fronts avec les syndicats, la communauté et les mouvements d'étudiants. Cet ensemble de conceptions et d'expériences contribue aujourd'hui à notre conception de l'especifismo. Actuellement, l'especifismo est préconisé par diverses organisations latino-américaines et développé dans la pratique, même si ce n'est pas sous ce nom, dans d'autres parties du monde.

Notes:
185. Mikhail Bakunin. "Programa Revolucionário e Programa Liberal". In: Conceito de Liberdade, p. 189.
186. Luigi Fabbri. "A Organização Anarquista". In: Anarco-Comunismo Italiano, pp. 104-105.
187. Mikhail Bakunin. "Táctica e Disciplina do Partido Revolucionário". In: Conceito de Liberdade, pp. 197-198.
188. Idem. "Programa Revolucionário e Programa Liberal". In: Conceito de Liberdade, pp. 188-189.
189. Dielo Trouda. "El Problema de la Organización y la Noción de Síntesis".
190. Mikhail Bakunin. Império Knuto-Germânico. Cited in Daniel Guérin (org.). Textos Anarquistas (trechos de Ni Dieu, Ni Maître). Porto Alegre: LP&M, 2002, pp. 47-48.
191. Errico Malatesta. "A Organização II". In: Escritos Revolucionários, p. 62.
192. Mikhail Bakunin. "Educação Militante". In: Conceito de Liberdade, p. 154.
193. Ibid. pp. 151-152.
194. Ne confondez pas le terme de « parti » utilisé ici avec les partis qui participent aux élections ou qui cherchent à prendre le pouvoir d'etat à travers la révolution. Comme nous l'avons déjà expliqué, le 'parti anarchiste » pour Malatesta est la même chose que l'organisation anarchiste spécifique.
195. Errico Malatesta. "A Organização II". In: Escritos Revolucionários, p. 56.
196. Idem. "Sindicalismo: a crítica de um anarquista". In: George Woodcock. Op. Cit. pp. 208; 212.
Dans la terminologie politique brésilienne « assistancialiste » est un terme qui désigne quelqu'un qui travaille à la manière des ONG, lorsqu'elle distribue de la nourriture aux pauvres. Il est associé à la charité.


Sommaire

0. Préface du Traducteur

1. Introduction

2. L'anarchisme social, la lutte des classes et les relations Centre-Périphérie

3. L'anarchisme au Brésil: la perte et la tentative de récupération du vecteur social

4. La société de domination et d'exploitation: le capitalisme et l'Etat

5. Les objectifs finaux: la révolution sociale et socialisme libertaire

6. L’organisation et la force sociale

7. Les mouvements sociaux et l'organisation populaire

8. L'organisation spécifique anarchiste

9. L'organisation spécifique anarchiste: la pratique et l'insertion sociale

10. L'organisation spécifique anarchiste: production et reproduction de la théorie

11. L'organisation spécifique anarchiste: la propagande anarchiste

12. L'organisation spécifique anarchiste spécifique: formation politique, relations et gestion des ressources

13. L'organisation spécifique anarchiste: rapports entre L'organisation spécifique anarchiste et les mouvements sociaux

14. L'organisation Spécifique Anarchiste: La nécessité de la stratégie, de la tactique et du programme

15. L'Especifismo: L'organisation anarchiste, perspectives et influences historiques

16. Notes et conclusion

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