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Féminisme et mouvement libertaire

category france / belgique / luxembourg | genre | opinion / analyse author Wednesday June 27, 2007 18:58author by Christine (AL Alençon) et Camille Anias (AL Tours) - Alternative libertaire Report this post to the editors

Genre et révolution

Lors de ses deux derniers congrès, Alternative libertaire s’est doté de motions pour mener un travail sur les oppressions de genre. Le texte adopté à Agen s’attache à ne faire aucune rupture entre le projet de société et la pratique individuelle, et s’efforce d’articuler l’analyse des différents niveaux d’oppression, culturelle, politique, économique. Le combat contre le patriarcat est en soi une lutte révolutionnaire et antiautoritaire. L’histoire du féminisme le montre, en posant la question des réticences du mouvement ouvrier, en particulier libertaire, à prendre en compte cette dimension de la libération.


Féminisme et mouvement libertaire


Lors de ses deux derniers congrès, Alternative libertaire s’est doté de motions pour mener un travail sur les oppressions de genre. Le texte adopté à Agen s’attache à ne faire aucune rupture entre le projet de société et la pratique individuelle, et s’efforce d’articuler l’analyse des différents niveaux d’oppression, culturelle, politique, économique. Le combat contre le patriarcat est en soi une lutte révolutionnaire et antiautoritaire. L’histoire du féminisme le montre, en posant la question des réticences du mouvement ouvrier, en particulier libertaire, à prendre en compte cette dimension de la libération.

C’est au cours de la Révolution française qu’apparaît le mouvement de revendication des femmes, que l’on ne nomme pas encore féminisme – le mot sera inventé en 1872, dans un sens polémique par Alexandre Dumas fils. Les femmes du peuple participent à la rédaction des cahiers de doléances et aux manifestations de 1789 qui demandent du pain et des armes, mais elles n’obtiennent pas l’égalité des droits avec les hommes puisque la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ne concerne que… les hommes.

Elles continuent cependant à participer aux luttes politiques de l’époque, et certaines d’entre elles se battent pour la reconnaissance de droits égaux entre les femmes et les hommes. Olympe de Gouges rédige en 1791 la “ Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne ”, et Théroigne de Méricourt tente en 1792 de créer une “ phalange des amazones ” pour défendre la révolution face aux armées coalisées. Les hommes révolutionnaires restent attachés aux rôles traditionnels des femmes : mère, épouse et domestique, seulement. Les “ féministes ” de l’époque ne réclament que l’égalité, elles vivent déjà un changement de société.

Après 1848, la montée du féminisme

ns la seconde moitié du XIXe siècle, après les révolutions de 1848 et 1871, le mouvement féministe se développe en même temps que les idéologies socialistes et anarchistes. Le “ féminisme ” des femmes de lettres ou aisées lutte pour l’égalité des droits à l’intérieur du système, revendiquant d’abord le droit de vote. Puis, l’instruction des femmes augmentant, les différentes couches de la société y sont bientôt représentées.

Pendant ce temps, la lutte des classes fait rage. L’entrée massive des femmes dans le monde du travail bouscule les ouvriers et leurs syndicats. Les résistances sont importantes, de la part de certains anarchistes aussi. Le secrétaire général de la CGT d’alors, Victor Griffuelhes, considère la syndicalisation des ouvrières comme secondaire, estimant que “ les femmes sont trop bavardes, elles ne savent point vouloir, ni avoir assez de persévérance. Alors qu’en ferions-nous ? Elles nous seraient une gêne ” [1].

D’autres pensent – et elles et ils sont toujours nombreux aujourd’hui – que la condition des femmes sera automatiquement transformée par une révolution anticapitaliste, d’autres encore que c’est un problème secondaire. Au congrès de la CGT à Rennes en 1898, le syndicat des typographes affirme : “ Le travail des femmes est une calamité, un mal social… ”

Des militantes socialistes, marxistes ou anarchistes associent lutte féministe et lutte des classes. Et combattent pour la liberté sexuelle, et donc la contraception, et pour l’éducation des femmes. Le courant néo-malthusien milite pour la limitation volontaire des naissances car l’augmentation de la population est pour lui un danger pour la subsistance du monde. Ce courant influence le mouvement anarchiste d’alors, également porté sur l’amour libre. Pour l’anarchiste russo-américaine Emma Goldman, la contraception devient une “ étape de la lutte sociale ”.

Certaines féministes révolutionnaires remettent profondément en cause l’ordre social et familial. Madeleine Pelletier écrit en 1921 dans Le Libertaire : “ La jeune fille qui veut pratiquer l’amour libre doit tout d’abord se débarrasser de toutes les vieilles conceptions : le nid, le foyer, l’épaule robuste où elle appuiera sa faiblesse… Si c’est cela qu’elle cherche, elle fait fausse route, qu’elle se marie. Mais si bonne ouvrière, employée, institutrice… elle a une profession qui lui assure l’existence, elle peut sans danger rechercher l’homme, comme l’homme recherche la femme. Elle ne sera pas spoliée, tout au moins, elle le sera peu si elle ne recherche dans sa liaison qu’une bonne camaraderie avec quelque chose de plus. Les femmes sont spoliées parce que, de l’union sexuelle qui n’est qu’une petite chose, elles font une chose énorme. Elles édifient sur elle toute leur vie, alors que, dans la vie, chacun n’a le droit de compter que sur lui-même. ”

Féministes et révolutionnaires entreront en conflit quand l’influence des premières augmentera auprès des ouvrières, avec la naissance de groupes féministes socialistes. Les féministes non révolutionnaires sont alors facilement qualifiées de “ bourgeoises ”.

La Première Guerre mondiale favorise l’intégration massive des femmes au monde du travail et les revendications sur l’égalité des droits et des salaires. L’année 1920 voit la législation contre l’avortement renforcée ; une femme qui pratique des avortements sera exécutée en 1943 sous Vichy.

Après 1968, le renouveau

De Mai 1968 naîtra le mouvement de libération des femmes, qui se bat prioritairement contre le patriarcat. Il mettra en lumière qu’il ne s’agit pas juste d’une prédominance des hommes sur les femmes, mais d’un système politique et économique de domination, jusque-là jamais étudié, en montrant par exemple que les tâches ménagères représentent un travail gratuit. Une partie du mouvement féministe essaie avec peu de succès de faire admettre ce combat à côté de la lutte des classes. Ce mouvement partage avec les libertaires une critique de toutes les hiérarchies, et travaille de façon approfondie sur la libération sexuelle. Le livre Notre corps, nous-même de Nicole Bizos-Cormier initie la redécouverte du clitoris et du plaisir sans alibi de procréation. Les revendications des lesbiennes deviennent visibles, au prix de conflits au sein du féminisme quand les lesbiennes radicales manifestent leur rejet des hommes. Mais quelque chose est apparu qui ne disparaîtra pas : la visibilité des minorités sexuelles – avec les mouvements d’hommes homosexuels qui se développent à la même période.

Et les féministes portent ce combat à l’intérieur des mouvements révolutionnaires. Qui ne s’en empareront pas. Si les libertaires ont été en pointe de la revendication pour la contraception et contre la famille, ils n’intégreront pas le féminisme à part entière, pas plus que les autres révolutionnaires. La domination machiste dans les groupes n’est que trop peu remise en cause par les militantes et les militants, la libération sexuelle est comprise par beaucoup d’hommes de ces groupes comme la libre mise à disposition des femmes, ce qui fera dire aux féministes “ Votre libération sexuelle n’est pas la nôtre ! ” L’humour, l’attachement aux problèmes concrets et le slogan “ Le privé est politique ” sont également mal vus.

Pour un féminisme radical

L’antipatriarcat au sein du mouvement libertaire est parfois un acquis : personne n’adopte plus l’attitude de Proudhon renvoyant les femmes à la maison ou des syndicalistes du XIXe siècle refusant le travail des femmes et on s’oppose aux fascistes qui manifestent contre le droit à l’IVG. Les femmes sont peu nombreuses dans les organisations libertaires, sans doute pour les mêmes raisons qu’elles sont peu nombreuses en politique – difficultés à concilier vie privée et vie militante, formes de militantisme décourageantes car avoir une grande gueule ou la jouer guerrier peut être un atout… Et les militantes et les militants féministes au sein de ces organisations ont fort à faire.

“ La lutte contre le patriarcat requiert deux fois plus d’énergie que d’autres combats, car elle exige de se battre non seulement sur le front social, mais aussi à l’intérieur même des groupes politiques. En effet, qui colle les étiquettes sur les enveloppes ? Passe le balai dans les salles de réunion ? Le plus souvent, des femmes. Qui coordonne les manifs ? Parle le plus fort en réunion ? Le plus souvent, des hommes. […] Ne nous faisons pas d’illusions : les libertaires, reproduisent les dominations liées au genre et à la sexualité… comme tout le monde. Sauf que, lorsqu’on prétend combattre les dominations, il serait bon de se pencher sur celles que l’on entretient. Ne pas y prêter attention est la meilleure façon de renforcer ce phénomène. ” [2]

Alternative libertaire n’a pas échappé pas à ces impasses. Et le Manifeste pour une alternative libertaire affirmant “ ainsi la lutte contre l’oppression des femmes est-elle un de nos combats majeurs, dans et hors des entreprises, en lien avec la lutte de classes ” a été peu suivi.

Il serait insuffisant de promouvoir les femmes dans la société en espérant qu’elles rattraperont les hommes. Les inégalités de salaires, les violences, l’exclusion des femmes des sphères de décision ne sont pas des oublis de l’histoire, ou des manques d’un système, mais les bases même d’un système de domination. Par exemple, la parité dans la sphère politique n’apportera rien si la présence des femmes ne remet pas en cause le fonctionnement du pouvoir basé sur les valeurs qu’on apprend aux hommes, la compétition, l’autorité. Ainsi, la présence des femmes dans la sphère politique pose la question : signifie-t-elle qu’elles se sont arrangées avec ces fonctionnements ou qu’elles luttent à l’intérieur du système contre son fonctionnement ?

De la même manière, l’égalité au travail ne pourra se réduire à l’égalité des salaires et des responsabilités. C’est depuis l’enfance que les femmes et les hommes sont enfermés dans des rôles propres, débouchant sur un monde professionnel organisé selon le sexe. Seul un changement radical de société permettra l’égalité entre les sexes et l’émancipation de chacun. […]

Pour un antipatriarcat anti-autoritaire

Si la lutte autonome des femmes fut et reste légitime, le changement de société passera par le changement des pratiques de toutes et tous qui doivent s’inventer dès aujourd’hui. C’est pourquoi nous concevons cette lutte comme mixte, sans rejeter certains cadres de non-mixité. “ Il ne suffit pas de souhaiter l’égalité comme un principe abstrait, mais il faut s’attaquer aux racines de la domination et de l’exploitation. Cela nécessite non seulement des luttes collectives pour remettre profondément en cause un système de pratiques sociales, mais aussi nos propres représentations des statuts et rôles sexués en tant qu’individu-e et militant-e.” 3 Aussi, il a paru nécessaire de réaffirmer que le privé est politique pour le prendre en compte dans notre militantisme. […]

Notre antipatriarcat est profondément anti-autoritaire. La transformation sociale, la reconnaissance des identités ne peuvent résulter de l’action de l’État. […] Non seulement l’État ne peut pas être contre le patriarcat, mais il en est le support le plus fidèle, tout comme le capitalisme qui engendre toutes les conditions nécessaires à la précarisation économique des femmes, faisant d’elles une main-d’œuvre docile. […] Le cadre unitaire que constitue le Collectif national droits des femmes (CNDF), dont AL est membre, apparaît comme contradictoire. Se revendiquant dans la continuité du mouvement féministe, il s’affirme autonome des partis, et procède à l’analyse du patriarcat. Mais, liées au mouvement social dans son ensemble, ses revendications ne vont parfois pas assez loin. Par exemple, il paraît bien naïf d’attendre quoi que ce soit de l’élection présidentielle. En revanche, nous pouvons nous retrouver avec le CNDF sur le combat pour une loi-cadre contre les violences envers les femmes.

Un enjeu majeur est d’intégrer définitivement la thématique féministe au sein du mouvement social, dans les associations, les syndicats, les grèves et les luttes. Par exemple, la question du harcèlement sexuel a été peu abordée lors de la lutte dite contre le CPE, alors que la précarisation est un facteur évidemment aggravant. “ Les femmes sont les premières touchées par la précarisation croissante de pans entiers de population en France. Elles sont les premières concernées par les contrats précaires et les temps partiels […]. Leurs conditions de travail et de vie peuvent être considérées comme l’un des miroirs grossissants de la dégradation de la protection salariale et sociale, et de la mise en concurrence des travailleur-se-s. Ces situations engendrent une plus grande dépendance financière et une fragilité sociale qui rendent plus difficiles la réaction à la domination des hommes et aux violences sexistes. ” [3]

Par ces différents biais, il s’agit donc de faire d’une lutte spécifique une lutte permanente et intégrée à notre militantisme. Permettre de pouvoir répondre à cette question : “ En luttant ainsi est-ce que je me libère ? Est-ce que je me libère de l’assignation à mon genre, à l’hétérosexualité ? Est-ce que je participe à la libération des minorités sexuelles, des femmes ? ” Interroger ainsi les dominations de genre remet en cause les catégories mêmes du genre, et l’ordre social organisé autour, il reste donc à envisager la transformation sociale sous cet angle.



Le genre est la classification sociale des individus en masculin et féminin. Ce concept repose sur l’idée que tout ou partie des caractéristiques différentes prêtées aux hommes et aux femmes est socialement construit et n’a pas de fondement biologique. La limite entre naturel et social passe à des endroits différents selon les penseurs et penseuses. Les différences ainsi construites ne sont pas seulement des différences (comme entre les choux, les navets et les carottes, qu’on ne peut confondre) mais elles constituent une hiérarchie. D’abord, parce que les qualités attribuées aux hommes sont socialement plus valorisées (c’est mieux d’être actif que d’être passive).

Ensuite, parce que les rôles qu’elles obligent hommes et femmes à jouer contribuent à la hiérarchie : devoir être douce ne favorise pas l’expression d’un “ non ” déterminé ; être bridée dans son corps (par ses vêtements, son contrôle alimentaire, sa nécessaire “ féminité ”) ne permet pas de savoir se défendre ; être responsable du bien-être (surtout matériel) de tout le monde entrave quelque peu l’ambition professionnelle.

Pour que ces différences n’apparaissent pas pour ce qu’elles sont, à savoir, le fondement d’une hiérarchie permettant l’exploitation des femmes, elles sont enrobées dans une l’idéologie apaisante qui affirme que hommes et femmes sont complémentaires. Fondamentalement différents mais si agréablement complémentaires. Et donc nécessairement hétérosexuels. L’hétérosexualité est le système qui rend tout ça possible. Ce n’est pas une simple possibilité de pratique sexuelle, c’est la norme sociale à respecter.

“ L’hétérosexualité se manifeste sous deux aspects. D’un côté il s’agit d’une institution reposant sur une organisation sociale, morale, religieuse, de l’autre une pratique. Depuis notre enfance tout est mis en œuvre pour que nous soyons destiné-e-s à l’autre sexe.

L’hétérosexualité repose sur l’idée qu’elle serait “naturelle”. Elle induit en amont l’idée que le rôle “naturel” de la femme est de faire des enfants, et s’appuie sur la reproduction du système de la famille conjugale (homme-femme), pilier de l’ordre socio-économique. ”

Au-delà de cette question, le système hétérosexuel donne une place démesurée à une identité sexuelle unique et statique dans la construction de l’individu. Il limite la possibilité d’émancipation de chacun. Si nous voulons remettre en cause l’ordre patriarcal, il faut interroger les catégories de genre.

“ La lutte anti-patriarcale, antisexiste et féministe telle que nous l’envisageons remet en cause la structure et le fonctionnement même de l’ordre social et de ses institutions. Elle interroge non seulement le rapport de domination de genre, mais les catégories même du genre, leur contenu et leur frontière, et la façon dont ils organisent notre rapport au monde (qu’on en soit conscient ou pas). ” [4] Il est difficile d’imaginer une société sans genre, où les individus ne se verraient pas imposés par la société des comportements précis correspondant à la hiérarchie qui les sépare. Et encore plus d’imaginer la disparition des catégories de sexe.

Le genre est le support de la hiérarchie, s’il n’y a plus de hiérarchie, il n’y a plus de classification nécessaire.

S’il n’y a plus de conditionnement pour limiter les rapports amoureux à l’hétérosexualité, il n’y a plus de nécessité à classer les individus entre hommes et femmes. Certains évoqueront la procréation : il faudrait alors ne pouvoir reconnaître que les femmes en âge d’avoir des enfants, en désirant, et fertiles. Pas facile.

A-t-on besoin de classer les humains en deux catégories ? Et si oui, pourquoi selon le sexe, qui n’est même pas biologiquement correct ? Ainsi même si leur nombre est très faible (quelques pour cent), il naît des personnes intersexuées que médecins, psychologues et chirurgiens feront rentrer de force dans un des sexes pour pouvoir leur assigner un genre.

Désirer le même, une histoire de l’impossible

Chacun et chacune a donc intérêt à se détacher de ces normes y compris ceux qui occupent une place dominante dans ce système de régulation sociale, les hommes, qui sont aussi prisonniers de leur rôle de dominants. Cependant, ce sont bien les plus opprimé-e-s par ce système qui le contesteront le plus radicalement, en mettant à jour une oppression issue d’une longue histoire.

La société chrétienne dans sa volonté de contrôle des corps, de rejet des passions, liera toute pratique sexuelle subversive au mal et au péché. Tribade [5], sorcière, homosexuel, tout cela est jeté au feu, sous le terme général de sodomite, c’est-à-dire les habitant-e-s de Sodome, la ville du mal et du péché (Genèse 18,20).

C’est au XIXe siècle qu’apparaît une interrogation sur le genre avec l’apparition de la notion de “ troisième sexe ” et que la perception de l’homosexualité va être profondément bouleversée avec l’apparition de la médecine et de la psychiatrie. La recherche d’une explication naturelle domine et c’est ainsi qu’apparaît la notion d’inverti, une âme de femme dans un corps d’homme, ou l’inverse. Ainsi, le désir reste toujours pour l’autre sexe.

La médecine et la psychiatrie débutante essaieront de faire rentrer tous les cas dans ces schémas, quitte à nier ou ne pas voir que les rôles “ actif ” et “ passif ” peuvent être joués par la même personne. Ceci dit, en parallèle, se développe l’image de l’homme gay inverti, “ jouant ” à la femme et donc l’utilisation de cette image pour affirmer son homosexualité.

Toutes les formes d’identités et de sexualités dérangent parce qu’elles touchent toutes les classes sociales, que la “ dégénérescence ” touche même la bourgeoisie. Cela remet en cause les fondements de la religion, de la morale, et de la République, fondée sur la famille. Toutes les formes troubles d’identité et de sexualité seront donc rangées dans la catégorie de troisième sexe, jusqu’à la “ femme en culotte ”, image de la femme émancipée.

La radicalité de l’après mai-68

Les années 1970 voient la création des homosexuel-le-s en tant que sujet politique. Ils et elles luttent pour leur reconnaissance, leurs droits, mais aussi la remise en cause du système politique qui les a contraint-e-s à la discrétion et la culpabilité.

La brève mais intense existence du Front homosexuel d’action révolutionnaire (FHAR), le montre : “ Vous êtes individuellement responsable de l’ignoble mutilation que vous nous avez fait subir en nous reprochant notre désir. […] Nous ne sommes pas contre les normaux, nous sommes contre la société normale. ”

À la fin des années 1970, les lesbiennes radicales font scission du mouvement féministe, considérant que leur spécificité n’est pas prise en compte. Si les gays et lesbiennes se rendent visibles et se fondent comme sujet politique, ils vont surtout façonner un corps politique, faire que le corps soit politique, soit un champ de lutte et de pouvoir. Mais se regrouper ainsi sur leur identité, et la spécificité de leurs corps et leurs désirs, pour s’affirmer collectivement risquait de mener à une lutte catégorielle et à rigidifier les frontières qu’elle remettait en cause. Malgré le schisme lesbianisme-féminisme et l’évolution depuis les années 1980 d’un mouvement gay vers la recherche de reconnaissance au sein des institutions, ce mouvement a pourtant créé la possibilité d’une critique radicale de la société et d’un combat de chacune et de chacun contre la normativité sexuelle.

La sortie de l’homosexualité de la psychiatrie, le développement de la figure androgyne, l’idée de la part de féminité et de masculinité en chacun, l’affichage des corps érotiques, l’acceptation de l’homosexualité montre bien une évolution dans la société depuis 35 ans. Cependant cela ne signifie pas que le cadre de représentation du masculin et du féminin s’amenuise et joue moins son rôle de formatage. Que ce soit dans la publicité, les manuels, l’éducation, il s’agit toujours d’une identité première, sur laquelle reposent de nombreuses différences sociales. On assiste plutôt à une forme d’acceptation de la différence, de la déviance par rapport à la norme toute libérale : chacun fait ce qu’il veut chez lui du moment qu’il ne dérange pas le voisin, le corps n’est pas politique, ce qui ouvre la porte à ce qu’il soit une marchandise comme les autres.

Dépasser les identités dans une lutte commune

Des sorties du genre, on en voit peu. Le mouvement queer pose la question de l’action politique d’un sujet en déconstruction. Comment lutter et s’organiser lorsqu’on se réunit autour d’identité (femmes, lesbiennes, gays) dont on souhaite la disparition ? Pour l’instant il est difficile de trouver une cohérence entre les auteur-e-s qui s’expriment en son nom et les différents groupes qui se prétendent queer. Le risque est grand de ne considérer que ce besoin de déconstruction et de nier les oppressions de genre subies.

Les luttes de genre doivent être considérées ensemble et s’enrichir mutuellement. Il s’agit bien de mettre à bas l’assignation à des rôles, hommes/femmes, des représentations masculin/féminin qui organisent la société, créent des inégalités, et contrôlent les corps. La libération sexuelle, loin d’être achevée, est même plutôt une idée récente et une conquête collective à mener. Comme le dit Michel Foucault : “ Ne pas croire qu’en disant oui au sexe, on dit non au pouvoir ; on suit au contraire le fil du dispositif général de la sexualité. […] Contre le dispositif de sexualité, le point d’appui de la contre-attaque ne doit pas être le sexe-désir, mais les corps et les plaisirs. ” [6]

L’enjeu est de parvenir à dissocier définitivement le désir et le plaisir sexuels de la reproduction et de reconnaître la multiplicité des formes d’investissement et de plaisirs affectifs et corporels. Il s’agit donc de s’attaquer aux cadres normatifs dominants de la sexualité.

Avec des urgences. Il faut constater que “ clitoris ” demeure un des mots les plus politiques qui soit, et que l’organe en question est encore à découvrir pour de nombreuses femmes. Il faut affirmer que la jouissance chez l’homme n’est pas forcément liée à l’éjaculation ; qu’il y a une continuité homo-érotique de la poignée de main à la pénétration anale et la nécessité de le reconnaître est sûrement ce qui gêne de nombreux hommes face à l’homosexualité.

Il s’agit aussi de questionner les cadres sociaux de la construction de la sexualité au cours des âges de la vie, et notamment la façon dont la famille, l’école apprennent aux enfants à devenir en première instance hétérosexuel-le-s, et que la sexualité est sinon honteuse, tout au moins tabou, sauf dans son affichage médiatique qui réduit la sexualité au sexe.


Christine (AL Alençon) et Camille Anias (AL Tours)

[1] Cité dans Leclercq et E. Girod de Fléaux, Ces Messieurs de la CGT, Ollendorf, 1908.

[2] Groupe Klito, “ Quoi de neuf sous le drapeau noir ? ”, Alternative libertaire n°138, mars 2005.

[3] Motion “ Féminisme, antisexisme, antipatriarcat, des enjeux centraux pour une société égalitaire et libertaire ” du VIIIe congrès d’AL (Agen, octobre 2006), disponible sur www.alternativelibertaire.org ainsi que la motion adoptée au VIIe congrès (Angers, novembre 2004) : “ Contre le sexisme et le système patriarcal : les fins et les moyens ”.

[4] Motion “ Féminisme, antisexisme, antipatriarcat, des enjeux centraux pour une société égalitaire et libertaire ” du VIIIe congrés d’Alternative libertaire – Agen – Octobre 2006 : http://www.alternativelibertaire.org/spip.php?article549 ; voir aussi le numéro de novembre 2005 d’Alternative libertaire : http://www.alternativelibertaire.org/spip.php?article631

[5] Homosexuelle.

[6] Michel Foucault, Histoire de la sexualité, I, Gallimard, L’Imaginaire, p. 208.

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