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Le Prix Nobel de la Paix à Santos: un outrage aux victimes des faux positifs

category vénézuela / colombie | impérialisme / guerre | opinion / analyse author Monday October 10, 2016 17:05author by José Antonio Gutiérrez D. Report this post to the editors

Traducteur: Fausto Giudice, http://www.tlaxcala-int.org/

Encore une fois, il est clair que la popularité de Santos est inversement proportionnelle à l'étranger et en Colombie. Plus on l'applaudit à l'extérieur, et plus il est impopulaire dans son propre pays. [Castellano] [Italiano]
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Le Prix Nobel de la Paix à Santos: un outrage aux victimes des faux positifs*

Santos a finalement obtenu ce qu'il désirait tant : le Prix Nobel de la Paix. Bien sûr, la date de la signature de l'accord de paix à Carthagène le 26 septembre avait été fixée pour coïncider, comme par hasard, avec la nomination. C'est que Santos ne fait rien au hasard, et une fois encore, comme pour sa réélection, les FARC-EP l'ont aidé à réaliser un rêve.

Non pas le rêve de la paix en Colombie, mais son rêve personnel, auquel toutes ses actions sont subordonnées, même des détails minimes comme le choix des dates pour les moments clés du processus de paix. Malheureusement pour elles, Santos ne las a même pas reconnues, sauf en passant et de manière implicite dans la cérémonie. À quoi bon , si ce prix vise à nouveau à démontrer que la paix en train d'être construite est la paix de Santos et que les insurgé sont les méchants, la couleuvre à avaler**, mais pour lesquels il ne peut y avoir aucune sorte de reconnaissance.

Ceux qui prétendent encore que c'est une paix sans vainqueurs ni vaincus, une paix entre deux parties égales, équivalentes, où règne le bilatéralisme, etc. ont soit raté quelque chose soit n'ont rien compris. La communauté internationale fait partie de ce récit qui est en train de se forger pour l'après-conflit: Santos est traité avec le respect qu'ont les enfants au cirque pour le dompteur de lions. C'est ce qu'est Santos : mi-dompteur, mi-pacificateur. Dans ses phases les plus bienveillantes, il aime à se présenter comme le père du fils prodigue qui accepte le retour à la société bourgeoise son fils rebelle. La déclaration du comité Nobel donne l'impression que Santos a réussi comme un magicien de foire à amener les FARC-EP à s'asseoir pour parler de paix. Donc, le prix est pour lui seul et pour personne d'autre.

Sa vanité et son ego doivent être au zénith et il doit être en train rêver qu'il ne lui reste qu' une chose pour accomplir tous ses objectifs dans la vie. Entrer dans le panthéon des héros nationaux, aux côtés de Bolivar, Santander, Núñez et Reyes, en tant que président de la paix en Colombie. Un de ces héros polyvalents qui sont positionnés au-delà du bien et du mal, de la droite et de la gauche, comme référence pour toute la nation. Mais son impopularité en Colombie l'empêche pour l'instant d'accéder à cette distinction. En attendant, le voilà au panthéon des personnes célèbres pour la communauté internationale (qui, sans aucun doute, l'aime plus que les Colombiens).

Il devient ainsi le deuxième Colombien à remporter un prix Nobel après Garcia Marquez, qui, lui, l'avait bien mérité. Il rejoint d'autres personnages honorés par l'Académie Nobel pour leurs services supposés à la paix mondiale. Parmi eux les présidents des USA Theodore Roosevelt (oui, le même qui a arraché le Panama à la Colombie et a inauguré la «diplomatie de la canonnière»), Barack Obama (le même qui a renforcé les programmes nucléaires, qui a activement été derrière les guerres en Syrie et en Libye, qui a renforcé les troupes en Afghanistan et qui, comme premier président noir, a présidé l'administration sous laquelle il y a eu le plus de violence contre les noirs au cours des dernières décennies). Sans oublier l'éminent diplomate US Henry Kissinger, l'un des idéologues de la politique d'extermination au Vietnam. Ainsi, Santos rejoint ces Nobel de la paix dont les mains sont bien tachées de sang.

Une chose est de reconnaître que Santos-à partir de sa perspective égoïste et des intérêts corporatifs du secteur oligarchique qu'il représente, intéressé à approfondir l'investissement dans les territoires- a ouvert les négociations avec les FARC-EP. Une autre chose est d'oublier que Santos était le ministre étoile de la Défense d'Uribe quand éclatèrent les scandales des écoutes téléphoniques et de la parapolitique***. Oublier que ce fut lui qui ordonna le bombardement du territoire équatorien en 2008, lui qui, dans sa campagne, se vantait d'être fier que la Colombie soit considérée comme l'Israël de l'Amérique latine et lui qui, en tant que président, a pleuré de joie quand il a assassiné traîtreusement le commandant des FARC-EP Alfonso Cano, alors sans défense, et en train de négocier l'ouverture des négociations,. Un crime odieux qui a compromis la possibilité de faire avancer le processus de paix.

Mais le pire crime dont il a été directement responsable a été l'assassinat lâche et pervers de milliers de jeunes Colombiens dans le scandale de ce qu'on a appeléles «faux positifs»*. Ce fut lui qui imposa à la soldatesque le sinistre comptage des morts comme preuve de leurs «succès» et qui est directement responsable de l'enlèvement et de l'assassinat de ces jeunes, puis de la chaîne de mensonges utilisés pour justifier ces morts, entravant à la justice dans des milliers de cas. Je ne pense pas que ce Nobel, célébré par tout le pays politique, soit un objet de célébration pour les mères de Soacha et les milliers de personnes qui pleurent la mort d'un être cher dans ce scandale et que Santos a systématiquement ignorées.

Alors que les médias n'ont mis l'accent que sur le discours de Timochenko à Cartagena quand il a demandé pardon, Santos n'éprouve le besoin de demander pardon à personne, pas même aux victimes de ce crime contre l'humanité dont il est directement responsable. Ici, il n'y a pas de bilatéralisme et toutes les institutions cherchent à renforcer cette image que l'insurrection a été vaincue militairement (d'où la panique des Kfir**** et les déclarations grandiloquentes des généraux), politiquement (on impute exclusivement et à tort la victoire du NON au référendum à un rejet des FARC-EP) et moralement (ce sont elles qui doivent demander pardon, et personne d'autre). Le Prix Nobel de la Paix achève la quadrature du cercle, comme on dit. Ceci est le triomphe de Santos, la paix de Santos, qui a réussi à pacifier l'une des "guérillas les plus sanguinaires du monde", comme les définit le journal Semana [1].

Santos a déclaré que cette victoire est celle de toutes les victimes, dont il parle neutralement, comme s'il n'avait rien à voir avec tout çà. Je recommande Santos d'avoir un acte d'humilité dans sa vie, en allant à Soacha visiter ces mères qu'il a rejetées et que ses gardes du corps ont chassées de leurs cérémonies, et demander pardon à travers elles, à toutesles victimes de faux positifs. Qu'il rende visite à des femmes comme Alfamir Castillo, dont le fils a été tué dans un faux positif, et qui a été déplacée et exilée non pas une mais plusieurs fois, à cause de ses demandes de justice. Et tant qu'à faire, vu qu'ils bassinent les FARC-EP pour qu'elles déclarent leurs avoirs et indemnisent les victimes, veiller à ce que les 850.000 euros qu'il va recevoir avec le prix, soient consacrés à indemniser les victimes de faux positifs. Elles, à la différence de Santos qui appartient à l'une des familles de l'aristocratie la plus rance, elles en ont vraiment besoin. C'est que l'oligarchie colombienne fait preuve de mesquinerie même pour cela: l'argent pour les victimes, elle le prend dans les poches des contribuables. Autrement dit, des pauvres eux-mêmes.

Quelle insulte que ce Nobel pour les victimes en Colombie, en particulier celles des faux positifs, comme pour les milliers de personnes qui ont risqué leur vie pour exiger une solution négociée au conflit quand Santos répétait les mantras de la sécurité démocratique. Encore une fois, il est clair que la popularité de Santos est inversement proportionnelle à l'étranger et en Colombie. Plus on l'applaudit à l'extérieur, et plus il est impopulaire dans son propre pays.

José Antonio Gutiérrez D.
07/10/16


NdA

[1] http://www.semana.com/nacion/articulo/firma-de-la-paz-e...95636

NdT

* Le scandale des faux positifs est le nom donné aux révélations qui, fin 2008, ont impliqué des membres de l'armée nationale colombienne dans des assassinats de civils innocents, dans le but de les faire passer pour des guérilleros morts au combat dans le cadre du conflit armé qui affecte la Colombie. Ces assassinats avaient pour objectif d'améliorer les résultats des brigades de combat. Pour en savoir plus

**Allusion aux couleuvres (en espagnol sapos, crapauds) à avaler dans les Accords de paix, selon la droite colombienne, qui n'a pas accepté les "avantages" accordés aux FARC-EP dans ces accords.

***Le scandale de la parapolitique a éclaté en 2006 après la réélection du président Álvaro Uribe. Une série de révélations de presse, d'arrestations et de décisions de justice ont révélé les liens étroits entre les groupes paramilitaires d'extrême-droite, liés aux trafiquants de drogue et accusés de divers massacres, les services secrets et des politiciens d'envergure, parfois très proches du président Uribe. Ce scandale a abouti à l'arrestation de sénateurs proches de lui (Alvaro García, Jairo Merlano et Erick Morris) puis à celle d'un ancien chef des services de renseignement, le Département administratif de sécurité (DAS), Jorge Noguera. 64 congressistes (soit le quart du Congrès) ont été identifiés par la Cour suprême de justice dans ce scandale, dont 32 sont aujourd'hui en détention.

****Kfir : les avions de chasse israéliens de l'aviation militaire colombienne qui ont survolé Cartagena pendant toute la cérémonie de signature des accords de paix. Ces fameux Kfir, copies pirates des Mirages français, concoctées par un autre prix Nobel de la Paix, le défunt Shimon Peres.

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