Récit d'un camarade syrien sur son expérience sur place
Ce titre pourrait constituer en quelque sorte le récit de ma situation quand j'étais dans les 'territoires libérés' de Syrie, c'est-à-dire les territoires contrôlés par l'armée libre, les forces armées de l'opposition syrienne. Mais ce n'est pas l'entière vérité malgré tout. [English]
Ma première et durable impression à propos de la situation actuelle en Syrie, c'est qu'il n'y a plus de révolution populaire en cours la-bas. Ce qui se met en place là-bas, c'est une révolution armée qui pourrait dégénérer simplement en guerre civile. Le peuple syrien, qui a montre un courage et une détermination sans précédent dans les premiers mois de la révolution pour défier le régime d'Assad en dépit de toutes les brutalités commises, est vraiment épuisé a l'heure qu'il est. 19 mois d'une répression féroce et dernièrement de faim, de manques de ressources de tout type et de bombardements continus par l'armée loyaliste, ont affaibli son esprit. Paradoxalement, le bénéficiaire principal de tout cela n'est pas le régime mais, d'une manière assez cynique, l'opposition, en particulier les islamistes. Grâce a ses relations internationales dont elle est largement dépendante, spécialement les riches et despotiques gouvernements du Golfe, l'opposition est désormais en mesure de nourrir et de soutenir la population affamée dans les zones qu'elle contrôle. Sans un tel support, la situation humanitaire serait désastreuse la-bas.
Mais ce soutien n'est pas gratuit, ni de la part des gouvernants du Golfe, ni de celle des leaders de l'opposition. Comme toute puissance autoritaire, ils demandent en échange aux masses soumission et obéissance. En fait, cela ne pourra mener qu'a la mort définitive de la révolution syrienne en tant qu'acte courageux des masses populaires syriennes. Oui, j'ai sauvé la vie de quelques djihadistes* et j'en ai aidé d'autres à retourner au front ; mais mon intention derrière tout cela était d'aider les masses auxquelles j'appartiens, en premier lieu en tant que médecin et ensuite en tant qu'anarchiste.
A vrai dire, je ne pense pas que notre problème soit l'Islam en lui-même. L'Islam peut aussi être égalitaire, ou même, anarchisant. Dans l'histoire de l'Islam, il y a des académiciens qui ont défendu l'idée d'une société musulmane libertaire et sans Etat et même d'un monde débarrassé de toute forme d'autorité. Le problème dans tout ce qui se déroule maintenant en Syrie n'est pas seulement le difficile et sanglant processus de renversement d'un horrible tyrannie, mais pourrait bien être pire : en substituant cette tyrannie avec une autre dictature, qui pourrait être encore pire et plus sanglante. Très vite après le déclenchement de la révolution, un petit nombre de gens, principalement des islamistes convaincus, ont prétendu représenter les masses en révolte et se sont auto-proclamés comme les véritables révolutionnaires, les véritables représentants de la révolution. Ce n'a pas été contesté par la majorité des masses révolutionnaires ni par les intellectuels. Nous nous sommes opposés à ces déclarations autoritaires et même tout simplement fausses, et nous nous y opposons encore, mais nous n'étions pas ni ne sommes actuellement assez nombreux pour que cela fasse une quelconque différence.
Ces gens ont proclamé que ce qui arrivait était une guerre religieuse et non une véritable révolution des masses opprimées contre leur oppresseur. Ils ont outrageusement utilisé le fait que l'oppresseur était membre d'une autre secte de l'Islam que celle de la majorité des gens qu'ils exploitent, une secte que les académiciens sunnites ont fréquemment jugé dans le passé comme contraire aux principes de l'Islam véritable, ce qui est considéré comme un pêché plus grave encore que la non-croyance en la religion musulmane. Nous avons été choqués que la majorité des Alaouites, la secte du dictateur encore en place, qui sont plus pauvres et marginalisés que la majorité sunnite, se mettent à supporter le régime et qu'ils participent au massacre des masses en révolte. Cela a été utilisé comme une "preuve" qu'en réalité, une guerre religieuse s'instaurait entre Alaouites et Sunnites. Et, en ce sens, il est clair que ces gens [les Islamistes qui se sont auto-proclamés guident de la révolution, NdT] pouvaient se proclamer Sunnites ; ils sont parmi les pontes de l'Islam et ils sont tellement sectaires que personne ne peut les défier dans ce domaine. Dans les faits, ils ont bâti leur autorité spirituelle et morale avant leur autorité matérielle.
Ensuite seulement est venu l'aide matérielle des dirigeants des pays du Golfe. Maintenant, le potentiel d'une lutte à proprement parler populaire diminue à vue dТЬil. La Syrie est gouvernée par les armes à l'heure actuelle ; et seuls ceux qui en possèdent ont un mot à dire au sujet de son présent et de son futur. Et ceci est vrai seulement pour le régime d'Assad et son opposition islamique. Partout dans le Moyen-Orient, les grands espoirs ont vite disparus. En Tunisie, en Égypte et ailleurs, les islamistes semblent remporter tous les bénéfices des luttes courageuses des masses. Et ils ont pu facilement commencer à établir leurs lois fanatiques, sans une forte opposition des masses. Je me sens exactement comme Emma Goldman a pu se sentir en 1922 quand elle a rompu d'avec les bolchéviques et a perdu ses illusions quant à eux. En fait, à l'heure qu'il est, personne dans tout le monde arabe et musulman ne ressemble plus aux bolchéviques que les islamistes, même les staliniens les plus convaincus n'ont pas autant en commun avec les bolchéviques que les islamistes. Pendant longtemps, ils ont été violemment réprimés par les dictateurs de la région et ont effrayé les masses et l'Occident ; et à cause de зa ils apparaissent désormais comme la force principale et décisive dans l'opposition à ces dictatures. En même temps, ils ont vraiment la même machine de propagande, en termes d'efficacité, que ce que les bolchéviques avaient. Ils sont très autoritaires et agressifs, exactement comme les bolchéviques l'ont été dans les jours décisifs de la révolution d'Octobre. Il est dont normal que les peuples arabes ont choisi d'essayer leur voie, ou ont accepté qu'ils accèdent au pouvoir. Même en espérant, comme les paysans et les ouvriers russes l'ont fait avant eux, qu'ils pourraient vraiment créer une société différente et meilleure. Pour Emma, elle s'est réveillée très tôt de cette mystification mais pour ce qui est des masses elles-mêmes, il leur a fallu beaucoup de temps pour se rendre compte de la vérité. Comme Emma l'a pensé, encore, avant moi, je défends : que les masses ne se sont pas trompées en se soulevant et en essayant de change leur réalité misérable ; la grosse "erreur", si elle peut être décrite ainsi, ce sont les forces autoritaires qui l'ont commise en cherchant à détourner la révolution. Nous continuons de soutenir la révolution, pas ses faux "leaders".
Nous devons faire de l'anarchisme quelque chose de connu et d'accessible pour tous les esclaves et toutes les victimes des systèmes et autorités meurtrières qui ont régné jusque là. Une PROPAGANDE ANARCHISTE EFFICACE est, à mon avis, le premier objectif de telles organisations. En bref, nous sommes les témoins de la faillite des tendances autoritaires laïques (parmi lesquelles on trouve les nationalistes et les panarabistes, les staliniens et les autres variétés du léninisme) et très bientôt ce sera au tour des autoritaires religieux. La future alternative devrait logiquement être libertaire. Bien sûr, l'anarchisme ne peut être implanté de faзon artificielle, il doit être la résultante "naturelle" des luttes des masses autochtones. Mais, malgré tout, nous devons prendre soin de cette tâche et mettre intelligemment en avant cette alternative. Ce doit être, selon moi, le rôle de notre propagande. Il est clair qu'il ne doit pas y avoir de "centre" dans nos organisations, ni de bureaucratie, mais malgré tout elles se doivent d'être aussi efficace que leurs homologues autoritaires, voire même plus efficaces.
Certes notre Staline ou Bonaparte n'est pas encore au pouvoir, certes les masses
syriennes ont toujours la possibilité de faire en sorte de s'en sortir d'une
meilleure manière que la révolution russe. C'est vrai que c'est difficile et que
cela le devient de plus en plus à chaque minute qui passe, mais la révolution
était déjà un miracle, et sur cette terre, les opprimés peuvent de temps en
temps faire leurs propres miracles. Cette fois encore, nous, anarchistes
syriens, mettons toutes nos cartes et tous nos efforts aux côtés des masses. Il
ne peut en être autrement, ou nous ne mériterions pas le nom de libertaires.
Traduction : Guillaume (CGA)
Comments (3 of 3)
Jump To Comment: 1 2 3juste pour dire que ce qui est sur ton front est "il n'y ait de dieu que dieu et que mohamed est son prophète" . pour un anarchiste ?? peut le terme anarchiste n'est pas approprié , ou alors les anarchistes veulent se réappropié ou détourné un djihadiste, qui par ailleurs sait ce qu'en vérité font les masses
bonne lutte, sans frontière et sans distinction (anarchiste balblabala, y a des gens qui luttent c tout, y a pas les gens et les anarchistes )
De toute évidence, il s'agit d'une photo d'un djihadiste et non d'un anarchiste, non?
Encore une attitude que je trouve déplacée de la part d'un "anarchiste" occidental: se permettre de faire la morale en prenant comme modèle et référence sa propre culture, athée.
Je ne vois pas en quoi on ne peut être croyant et anarchiste. Mettre en évidence cette inéquation et l'asséner comme une vérité , c'est encore une fois oublier que la pensée que l'on appelle chez nous anarchiste s'est construite et est le résultat d'une histoire à 100% occidentale catholique.
C'est pour ce type de posture notamment que je n'ai jamais pu militer de ma vie avec ceux qui se proclament "anar", à de rares exceptions près.
Merci
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