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L’acharnement répressif de l’État : Un attaque contre toutes et tous

category amérique du nord / mexique | Éducation | opinion / analyse author Friday August 10, 2012 06:13author by Ouananiche anarchiste - UCL Report this post to the editors

Le texte qui suit est intégralement issu d'une brochure du même nom lancée le 8 août 2012 à Chicoutimi. Il traite de la répression et ses mécanismes dans le contexte du grand mouvement social étudiant maintenant connu comme "Printemps érable" au Québec. En partant d'observations dans diverses régions du Québec, le texte analyse la répression subie et lance quelques interprétations libertaires de la justice, de la loi et de la police.
printemps_etudiant_2012.png

Vieillards sinistres et débiles,
Puisqu'il vous faut tout notre sang,
Versez-en les ondes fertiles,
Buvez tous au rouge océan ;
Et nous, dans nos rouges bannières,
Enveloppons-nous pour mourir ;
Ensemble, dans ces beaux suaires,
On serait bien là pour dormir.

Louise Michel, À mes frères
(Prison de Versailles, 8 septembre 1871)

Devant l’éventail de mesures coercitives déployées par l’État contre le mouvement social, il n’est plus du tout exagéré de parler d’une campagne contre-insurrectionnelle menée par les corps de police, les services de renseignements, l’appareil judiciaire et les ministères avec l’étroite complicité des médias de désinformation et de large pans de la population. À travers leur tenace résistance, les étudiantes et étudiants peuvent maintenant mieux comprendre la conception de l’État qu’ont les anarchistes. Non l’État n’est pas une institution « neutre », reflet de la volonté de la majorité. L’État est avant tout un appareil de coercition qui a historiquement eut pour utilité de réguler par son monopole de la violence le maintien des rapports de domination; d’exercer un contrôle sur la société. Des systèmes esclavagistes aux latifundios, jusqu’au travail salarié, l’État nous maintient, par la force et l’isolement lorsque nécessaire, dans l’aliénation d’une société de droit où il y aurait égalité devant la loi.

Le mouvement de grève étudiante de 2012 doit être replacé au sein d’une mobilisation globale anti-austérité dans le contexte de l’une des plus importantes crises économiques depuis les années 1920. En Grèce, en Angleterre, en Espagne, … un peu partout ce combat contre l’agenda néolibéral de sortie de crise. Soumis aux pressions des grandes institutions économiques internationales, les gouvernements cherchent à nous faire payer une dette créée de toute pièce dans l’intérêt des banquiers et financiers. C’est le diktat du marché financier. L’acharnement policier au Québec dont nous traiterons dans cette brochure s’observe en de multiples variantes envers les mouvements anti-austérité et ne cible ainsi pas uniquement les étudiantes et étudiants. Au cours du mois de juin, des condamnations de plus de 10 mois de prison ont été jugées contre des activistes du contre-sommet du G20 à Toronto en 2010. Pendant ce temps, plusieurs manifestants contre le Sommet du G8 de 2001 à Gênes, en Italie, ont reçu des accusations, en vertu d’une loi fasciste de l’époque de Mussolini, qui les ont condamné à pas moins de 100 ans de prison. Et dans ces deux cas, en addition aux violences policières et au régime de terreur envers les participantes et participants de la contestation.

Malgré toutes les révélations sur l’origine financière et banquière de la crise que l’on vit et sur la soi-disant « dette publique », malgré les multiples scandales de corruption et de collusion qui ont éclaboussé les classes dirigeantes et bourgeoises ces dernières années, le gouvernement a conservé les mêmes rhétoriques de renversement linguistique tout au long du conflit étudiant : « les étudiantes et étudiants doivent se serrer la ceinture comme les autres » et « le gouvernement ne cèdera pas devant les menaces ». Ces derniers mots sont rapidement devenus une rhétorique importante dans le discours du gouvernement pour justifier un resserrement sécuritaire – en bref, il s’agit de léguer le dossier de la contestation étudiante de la politique de hausse des frais de scolarité aux forces répressives. Si cette pression supplémentaire sur le mouvement social n’était pas politique alors, à quoi bon servaient les coups de matraque et de genoux sur des étudiantes et étudiants maîtrisé-e-s et menotté-e-s?

Résultat de l’intégration de cette menace de subversifs et de subversives contre le monde « libre » et « propre », les policiers et policières se sont senti-e-s personnellement impliqué-e-s dans les lignes de piquetage et manifestations, que les divers palliés d’autorité les ont appelé à mater. Et en renforcement de « l’ordre » commandé, la hiérarchie policière a pris pour fonction d’échauffer ses agents et agentes à l’encontre des manifestantes et manifestants, propageant selon elle la contagion dans le tissu social, en dépit bien sûr du droit reconnu de manifester et de piqueter. On ne pourrait compter le nombre de bavures et de provocations réalisées délibérément par les forces répressives un peu partout à travers la province. Au Saguenay, par exemple, les policiers de la ville poussaient bêtement les manifestants et manifestantes en sens latéral avec leur voiture et ont ainsi écrasé sous leurs roues des pieds à deux reprises. Et même lorsque ces provocations n’amenaient pas la réponse attendue de la part des manifestantes et manifestants (qui voyaient effectivement leur intégrité menacée), les brutes répressives, avec leur numéro d’identification enlevé de façon préméditée à de multiples occasions à Montréal, les ont chargé dans des violences policières hors de toute commune mesure – des émeutes policières. Des blessures graves, plusieurs blessé-e-s qui se sont retrouvé-e-s entre la vie et la mort, des visages ensanglantés par des coups de matraque reçus sur la tête, … N’est-il pas ironique de prétendre « pacifier » des manifestantes et manifestants avec des projectiles semi-létaux (comme à Victoriaville), des grenades assourdissantes au niveau de la tête et des charges sur la foule en voiture?

Non sans l’influence de « syndicats » de police réclamant toujours plus de moyens répressifs au point de considérer la police au Québec comme une force paramilitaire, un éventail de tactiques militaires a été déployé pour « gérer la crise » (souvenir d’Oka?), ainsi que des armes en provenant. Des dizaines de policiers et policières ont été jusqu’au grave crime humanitaire de bloquer l’accès aux blessé-e-s au personnel ambulancier durant près d’une heure. Une telle situation apparaîtrait horriblement insensée en situation de guerre, pourquoi a-t-elle été permise et tolérée par autant de policiers, policières, personnalités politiques et journalistes?

Au cours du mois de juin, un militant étudiant accompagné de sa famille a été intercepté sur la route. Il a été arrêté et emprisonné alors qu’il se rendait à l’enterrement de sa sœur, qu’il avait lui-même tenté de sauver en lui prodiguant les premiers soins. Du calcul de la détresse psychologique infligée pour les fins de leur enquête policière, pourquoi pareille insensibilité ne s’observe pas à l’endroit de Hells Angels ou de mafiosos responsables de crimes de gravité tout simplement incomparable?

Pour leurs activités militantes en milieu étudiant, leur port du carré rouge ou même simplement leur apparence physique associée arbitrairement à un profil étudiant, un grand nombre de personnes ont relaté avoir subit l’harcèlement aucunement justifié de la police dans la rue ou à leur domicile. Ce profilage politique a également mené à de nombreuses fouilles à nu tout autant injustifiées lors d’arrestations pour des délits mineurs à caractère idéologique. De leur côté, des enquêteurs ont, de façon provocante, pris un très grand nombre de photos lors de manifestations pacifiques (jusqu’aux parents avec leur poussette) et ont poussé l’audace jusqu’à prendre des photos des appartements des militantes et militants en leur absence (notamment à Chicoutimi). Avec la complicité des agents de sécurité des cégeps et des universités et de journalistes des oligopoles médiatiques, la police a réalisé une collecte outrancière d’information sur les participantes et participants du mouvement. Doit-on comprendre qu’elle n’a rien de mieux à faire que de criminaliser un mouvement social d’universitaires, de cégepiens et de cégepiennes?

La réponse est claire et intrinsèquement liée à la corde sensible que touchent les actions étudiantes dans le contexte présent : en perdurant plusieurs mois, en perturbant l’économie et en cherchant à élargir la lutte au-delà du corporatisme; bref, en générant un modèle de résistance active contre les plans d’austérité. Cette violence et brutalité déchaînée par l’État viole les liberté d’association, liberté d’opinion politique et droits de rassemblement et de manifestation garantis par la constitution.

La « prophylaxie » policière n’a, encore, pas ménagé sa hargne à l’encontre de toutes personnes ayant le profil du ou de la supportaire de la lutte étudiante lors du Grand Prix de F1 de Montréal. Des dizaines d’arrestations préventives, avec détention pour plusieurs heures dans un autobus en pleine chaleur, ont été réalisées pour l’image du Parti. Comme pour les centaines de personnes reconduites sous escorte hors de l’île, aucun motif raisonnable ne justifiait ces arrestations et l’ensemble des fouilles arbitraires étaient inconcluantes. Traité-e-s en « ennemi intérieur », les manifestants et manifestantes présagé-e-s reçurent un traitement digne de pays sous la dictature avant même qu’elles et qu’ils puissent se rassembler. Et comme dans ces pays, la présence d’indicateurs de la police pour contrecarrer les manifestations fut nettement perceptible tout au long du printemps.

Quelle était cette société de droit que l’arbitraire policier a prétendu défendre et protéger par la distribution massive de tickets au fardeau écrasant pour les faibles budgets d’étudiantes et étudiants lourdement endetté-e-s? Si la preuve n’était plus à faire que celle-ci cachait d’un pâle verni la défense des intérêts d’omnipotence d’une minorité possédante sur la majorité exploitée, cette provocation supplémentaire, en total mépris des causes de la révolte de la jeunesse, avait quelle vocation? Et que penser si l’on compare les amendes très faibles accordées à l’Alcan quand elle répand des millions de litres de boues toxiques dans la rivière Saguenay à celles données à des citoyens et citoyennes exerçant leur droit de protester, qui plus est, contre un régime fortement entaché de corruption?

Aussi rares qu’ils et qu’elles puissent avoir été, les seul-e-s journalistes à point de vue plus critique qui se sont aventuré-e-s à documenter ces abus ont pour la plupart vu leur liberté de presse restreinte et même attaquée par le zèle des forces répressives. Des journalistes, pourtant bien identifié-e-s avec leur carte de presse, ont été arrêté-e-s aussi gratuitement, matraqué-e-s, gazé-e-s de façon délibérée, menacé-e-s de ne pas diffuser certaines images et perquisitionné-e-s, toujours à l’encontre des lois concernant la liberté de presse. Cet outrageux arbitraire policier s’observait tout autant lors des perquisitions aux visées grossièrement définies chez des militantes étudiantes et militants étudiants. Nous pourrions espérer que la saisie d’ouvrages classiques tels que le Manifeste du Parti Communiste de Karl Marx et Friedrich Engels aura au moins permis aux enquêteurs de se cultiver un tant soit peu, mais nous ne sommes pas naïfs et naïves!

Comment prétendre que la justice a parlé? Pour la doctoresse anarchiste Madeleine Pelletier, « l’appareil de la justice est avant tout une machine à broyer les déshérité-e-s de ce monde » et les riches y sont rarement accusé-e-s [1]. William Godwin, prédécesseur du mouvement anarchiste, considèrera dès la fin du 18ième siècle qu’il y avait en l’idée d’un contrat social, telle que postulée par Jean-Jacques Rousseau comme fondement de l’État de droit, la fétichisation d’une fausse rationalité. Ce « contrat » se trouve en réalité imposé comme exigence idéologique et implique obéissance et sujétion pour une durée inconnaissable et dans des limites inconnues (puisque la loi est constituée comme infinitude, son application se révèle relative et aucun ou aucune spécialiste y étant voué-e n’est plus en mesure de la connaître). Drôle de contrat! C’est pourquoi Godwin voit dans le droit un processus d’aliénation de l’individu, instrument d’oppression politique et contraire à l’usage légitime de la raison. Tout comme pour la religion, ce dernier notera que l’abdication de la raison et les éléments du sacré incorporés dans la transcendance de la loi sont indissociables de sa domination sur les femmes et les hommes.

Mais encore faut-il se demander qui fait ces lois et pourquoi?

Jean-Louis Boireau écrit à ce propos :

« Parée des atours d’une égalité de droit, la loi n’est en fait que le moyen artificiel par lequel les riches, en tant que classe, transforment un rapport de force qui, en termes de nombre, leur est défavorable en un rapport de pouvoir où ils ne peuvent que gagner, puisque toute l’astuce du droit consiste à ne connaître que des individus et à faire peser sur cet individu isolé le poids collectif des possédants constitués en État [2] ».

Cela nous semble si bien refléter les condamnations ciblées de militantes et militants du mouvement!

Et de cette galère, nous n’étions pas au bout de nos peines! Cette grève a amplement démontré le caractère partisan de l’administration de la justice dans la province. Ce n’est pas un hasard si pratiquement toutes les injonctions déposées contre les grèves et manifestations, moyen de judiciarisation contraire à l’esprit démocratique des mobilisations, ont été ordonnées. Il a été reconnu qu’une partie importante des juges qui les ont ordonné étaient d’ex-député-e-s ou organisateurs du Parti Libéral. Au-delà de la nomination des juges, certaines associations étudiantes, à Alma notamment, se sont même rendues compte que l’avocat qui les représentait était lui-même un ex-militant du Parti. Que peut-on attendre de ce système vicié? Il n’est guère plus surprenant que rien dans ces structures n’empêche le gouvernement de mettre en place une loi spéciale particulièrement démagogique pour bâillonner la colère étudiante. Pour l’État paternaliste, nous sommes des marchandises parmi les marchandises – les jugements de son appareil judiciaire contre les militantes et militants perpétuent historiquement l’inégalité plutôt que de la réparer comme l’idéalisme bourgeois de Rousseau l’avait présupposé.

Pierre Vallières, lors de son procès pour conspiration séditieuse en 1971, affirmait avec raison :

« Mais, monsieur le juge Ouimet, l’impression que j’ai c’est que je ne me trouve pas devant une Cour mais devant un parti politique et ceux qui me jugent aujourd’hui, c’est les Libéraux, les membres du Parti Libéral. C’est un parti et non pas un tribunal et c’est un des autres motifs sur lequel j’appuie ma demande de récusation [3] ».

Contrairement aux bandits à cravate qui arnaquent des masses de gens, une grande proportion de la population étudiante est cyniquement considérée surnuméraire par le système, sa contribution à la productivité n’étant pas jugée essentielle. Ce n’est ainsi pas anodin que de telles mesures extrêmes de répression soient exercées lorsque le mouvement déstabilise l’ordre établi. Contre cet ennemi intérieur que le gouvernement a façonné, on le vu par exemple, ce printemps, porter des accusations sous des lois antiterroristes pour la perturbation de métros à Montréal. Des tests réalisés dans les années 2000 révélaient pourtant que la fumée de fumigène pouvait se dissiper en 30 secondes avec l’usage du système de ventilation. Fabriquant de toute pièce une menace terroriste, qui n’est sans doute pas sans une orchestration de la haute hiérarchie policière, l’État a pu justifier par ses fabulations le maintien en prison de militantes et militants avant leur procès comme si ceux et celles-ci posaient un danger pour le public, spectateur de la mise en scène.

Parmi les milliers d’arrestations politiques commises par la police durant la grève, les arrestations de masse sont devenues si fréquentes qu’un doute qu’il s’agisse d’une commande politique semble tout-à-fait opportun. Rappelons que la Police de Montréal avait particulièrement été blâmée en 2005 dans le Rapport sur le Canada du Comité des droits de l’Homme de l’ONU pour ses arrestations de masse fondées sur les convictions politiques de manifestantes et manifestants [4]. La police est-elle donc au-dessus de toute considération devant l’enquête réclamée par le comité de l’ONU et les nombreux recours collectifs intentés? En contrepartie, comment interpréter l’attitude révoltante de laissez-faire ou de laisser-aller des policiers devant les provocations réactionnaires de civils, telles des automobilistes frustrés qui ont foncé dans des manifestations à Jonquière, qui ont lancé des roches et des œufs aux manifestantes et manifestants, qui ont haineusement incité à agresser des étudiants et étudiantes, etc…? Que dire du refus de services de police de prendre les plaintes des étudiantes et étudiants dans plusieurs cas?!

Et qu’en est-il de Bernard Guay, catholique intégriste et militant de groupes néo-fascistes violents, en plus de ses fonctions de Directeur Général de la fiscalité du Ministère des Affaires Municipales, des Régions et de l’Occupation du Territoire, qui a écrit un texte faisant l’apologie de la violence des mouvements fascistes des années 1920 et 1930 comme « salubrité politique » face aux « porteurs de carré rouge » pour mettre fin à la « tyrannie des agitateurs de gauche »? Son texte, d’abord publié par Le Soleil et Cyberpresse, lui a valu de légères sanctions administratives alors que l’on ne pourrait compter le nombre d’étudiants et étudiantes qui ont perdu des occasions d’emploi en raison de la criminalisation politique et de la diffamation bourgeoise contre le mouvement de grève.

Faut-il s’étonner que le gouvernement ait refusé de négocier avec le mouvement étudiant le plus massif de l’histoire du Québec sous prétexte de « chantage » alors que ce même gouvernement plie régulièrement aux menaces à peine cachées de grands capitalistes comme Rio Tinto-Alcan, de syndicats policiers et de la bourgeoisie possédante? Le Ministère de la Justice est largement intervenu dans le conflit en laissant entendre que la CLASSE faisait la promotion de la violence, voir même de la sédition. Ces calomnies à l’endroit de l’organisation la plus active du mouvement de grève remplissaient la fonction idéologique de base justificatrice au discours sécuritaire d’un parti tentant de séduire un électorat impuissant, devenu consommateur de faits divers policiers grâce aux oligopoles médiatiques. Du moins, ce faux choix entre le Parti Libéral et les « carrés rouge » a le mérite de faire transparaître que la lutte étudiante n’est pas uniquement économique, mais porte elle-même ses visions politiques – c’est une force qui transforme radicalement la société sans prendre les rênes de l’État. C’est le mouvement social qui amène le débat de société sur la marchandisation de l’éducation et qui développe de nouvelles façons pour les gens de s’informer et de s’exprimer. Et puis, c’est le pouvoir politique de la classe dominante que combattent les étudiantes et étudiants en questionnant ses mécanismes de domination comme les filtres à l’accessibilité, l’orientation pédagogique des programmes, la division genrée du travail et le conditionnement à l’Idéal marchand.

En associant le carré rouge, symbole de solidarité au combat contre l’endettement étudiant, à la violence et à l’intimidation, les député-e-s du Parti Libéral ont fait appel à une logique bivalente bien typique du langage répressif. Dans celle-ci, toutes réalités d’un conflit social se trouvent réduites à deux catégories caricaturales en opposition simple [5]. Cette distorsion a nuit au débat de société qu’ont suscité les étudiantes et étudiants et a tenté d’en isoler la lutte et sa répression, comme si elles ne concernaient pas le reste de la population.

Du Parti Libéral à ses juges, en passant par les médias et la police, jusqu’à la Ville de Québec et l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC), une similaire menace a été fabriquée. Alors que sur le terrain, les manipulations aberrantes étaient apparentes et contribuaient à rallier des gens non-impliqué-e-s jusque là, la tactique fut dans l’ensemble un succès étant donné l’asymétrie des pouvoirs façonnant « l’opinion publique ». La stratégie de tension du rectorat de l’UQAC contre la grève illimitée de 15 associations facultaires en offre un bon exemple. À la suite d’une pression grandissante du rectorat sur les étudiantes et étudiants et le corps enseignant, le nombre d’agents de sécurité s’y multiplia avec le resserrement exagéré des contraintes et la provocation contre les lignes de piquetage. Devant ces limitations de leurs moyens de faire respecter leur droit de grève, plusieurs étudiantes et étudiants tentent alors d’établir un campement à l’extérieur mais la police vient rapidement les évincer. Sous le prétexte de l’intimidation et même d’une « séquestration » par la ligne de piquetage, l’administration fit par la suite intervenir la police pour briser les lignes et s’en suivra l’occupation de l’étage du rectorat où une quinzaine d’étudiantes et étudiants furent arrêté-e-s. Quelques jours plus tard, au cours d’une manifestation, un agent de sécurité trébuche et se disloque l’épaule. Sur le coup, le chef de la sécurité minimise l’accident, le même agent s’étant disloqué l’épaule à répétition. Mais, sur les pressions du rectorat, l’agent de sécurité sort finalement en civière sous les caméras des journalistes, donnant un prétexte à l’injonction que le rectorat allait immédiatement dévoiler sous le motif d’un danger pour la communauté universitaire. De cet exemple, il faut constater que, malgré l’emploi de moyens brimant des droits reconnus, dont particulièrement la dissension, « les mauvais mots [du vocabulaire établi] sont a priori réservés à l’Ennemi, et leur signification n’est définie et sanctionnée que par les actions de cet Ennemi, quels que soient ses motivations et ses buts [6] ». Autrement dit, ce vocabulaire protège l’ordre établi. Alors que le resserrement sécuritaire amenait une certaine solidarisation du personnel universitaire à la lutte étudiante, la logique bivalente sous-jacente au discours de l’injonction a effectivement bloqué le support actif, démontrant qu’il est faux de prétendre que celle-ci n’affecte que « les gens qui ont quelque chose à se reprocher ». Nécessaire est-il aussi de constater la grande tolérance face aux gestes illégaux d’agents de sécurité et l’aisance du rectorat de l’UQAC à commander de larges effectifs policiers comme briseurs de grève.

Pour évacuer un mécontentement qui aurait pu se répandre comme une trainée de poudre, la police a une fois de plus cherché à valoriser sa procédure bureaucratique de déontologie policière. Enquête de la police sur la police, la déontologie policière amène de maigres conséquences dans de rares cas d’abus et son taux de considération des plaintes est très bas. Comment ainsi avoir confiance en une telle procédure alors que l’on sait qu’une plainte pourra avoir des conséquences dans les agissements futurs de l’arbitraire policier à notre endroit?

De plus, la très forte communauté de pensée entre le patronat et le gouvernement, un peu comme en Amérique du Sud, n’est pas sans lien avec la confiance totale accordée à la police par ce dernier et l’absence de blâme envers elle. Tel qu’au G20 à Toronto en 2010, la faute des abus et violences policières est reléguée comme résultat de légères imperfections dans le travail des policiers et policières « en contexte difficile ». On évite ainsi le problème fondamental que la violence pose : un système d’arbitraire policier au sein des structures sociopolitiques. Et enfin, l’impunité policière se trouve garantie par l’alliance juridico-politico-policière fondée dans l’administration de la justice par l’État québécois. Oui, les « syndicats » de police l’ont apparemment déjà leur force paramilitaire!

Pour conclure, il est une raison simple pour laquelle nous n’avons guère cru nécessaire d’inscrire des références pour chacun des abus répertoriés : nous avons été témoins de ceux-ci. Tout cela, nous l’avons vécu avec nos « trippes » et nos nerfs et en sommes encore marqué-e-s. Cela, des milliers de personnes l’ont aussi éprouvé et en portent les cicatrices. Sous le poids du harcèlement constant, l’air de dehors est devenu aussi vicié que l’air d’une prison pour certains et certaines.

On croirait à tord que cette répression est un épisode qui s’éteindra avec la fin du mouvement actuel. C’est plutôt les conditions d’une offensive plus vaste qui se préparent contre la montée d’une résistance contre les mesures d’austérité. Comme l’a écrit la Ligue des droits de l’Homme, « c’est en effet dans la logique même de la répression et de tout État policier naissant de généraliser des dispositions qui, au départ, sont toujours présentées comme exceptionnelles et mêmes temporaires [7] ». L’attribution de privilèges à certaines catégories de travailleurs et travailleuses fait partie intégrante de cette stratégie répressive et induit une collaboration qui sabre la capacité d’organisation d’une riposte de masse contre la détérioration des conditions de vie et des libertés démocratiques. Nous rendons-nous compte que sans même n’avoir abrogé aucune loi, le gouvernement Charest a pu priver des centaines de milliers d’opposantes et opposants à ses politiques de l’exercice de leurs droits civils? Plutôt qu’exception, cette désintégration de nos droits est une constante dans le développement du capitalisme avancé. Les parures de démocratie, que les gouvernements maintiennent malgré tout, conservent toutefois leur importance idéologique.

James Petras note à ce propos :

« Si l’érosion des droits démocratiques est une tendance constante dans les sociétés capitalistes avancées, le besoin de renouveler les croyances qui soutiennent l’ordre politique en place l’est tout autant. Le fondement idéologique de la domination de classe en Occident est relié à la notion de démocratie, les citoyens élisant et contrôlant leurs représentants. Même si cet élément est faible, il n’en assure pas moins la cohésion de la société et l’équilibre entre les classes sociales, cohésion nécessaire à la stabilité et à la continuité de l’ordre capitaliste. Sans domination idéologique, la société capitaliste serait confrontée à l’alternative hobbesienne : la guerre civile ou la dictature [9] ».

Nous pourrions bien simplement ajouter, « si les élections pouvaient changer les choses, elles seraient interdites »! Comme la justice, les mystiques que le jeu démocratique entretient à travers les élections préservent l’aliénation nécessaire à la perpétuation des rapports de domination et des divisions de classes. Quittez la rue et contentez-vous de voter pour des partis en manque de chèques en blanc! Voilà le vrai discours des démocrates autoproclamé-e-s. Des mouvements de masse mettant en chantier la démocratie directe et l’autonomie des mouvements sociaux comme la CLASSE ou #Occupy constituent une fronde contre les attaques que cachent cette rhétorique. Même s’il faut continuer de créer nos propres modèles de lutte, nous avons-là des mouvements exemplaires. Cela n’empêche pas que tout un chemin de transformation reste à faire; la répression politique et les mesures d’austérité étant deux facettes du même agenda néolibéral de sortie de crise, il sera essentiel de développer une solidarité à la fois authentique et critique.

Au-dessus de la tête de ceux et celles qui se lèvent contre la violence socio-économique des mesures d’austérité, « les Ordres » pendent toujours, on l’a vu dans cette brochure. Ce mécanisme psychologique de blocage est déjà bien assimilé par les forces de répression enrégimentées. Ces dernières pourraient aussi bien nous dire : « Je ne suis pas responsable du régime de terreur instauré, je suis simplement les ordres »! Rien donc à comprendre des coups d’État en Amérique du Sud, de l’Occupation militaire de 1970, du nazisme, des escadrons de la mort,…? Si la violence politique se reproduit ainsi chez les forces répressives, en cumulant les génocides, c’est qu’elle est toujours conçue comme un moyen pour restaurer l’équilibre des forces en jeu dans les systèmes de domination et non comme un crime.

Pour que l’analyse ne reste pas lettre morte, un questionnement lourd de conséquences s’impose pour les mouvements sociaux sur la confrontation et la cooptation avec le gouvernement. L’expérience de la lutte a dissipé bon nombre d’illusions sur le rôle des institutions étatiques comme la justice, la police, etc. et on ne peut que constater l’impact asservissant de l’acharnement répressif sur l’engagement des militantes et militants. Il est facile de succomber à l’appât des légers gains partiels des revendications immédiates, au point qu’il est généralement oublié dans le processus que l’État est instrument de domination d’une minorité privilégiée. Dans leur volonté d’agrandir sans cesse leur base de support électoral – voir de maintenir ou accroitre leur pouvoir, les gouvernements les plus progressistes adoptent des politiques qui ne s’attaquent pas aux causes profondes systémiques des problèmes sociaux. Nous ne pourrions pas attendre que Québec Solidaire, la gauche parlementaire, nous propose l’annulation de toutes les procédures judiciaires et pénales contre les militantes et militants puisque le parti a lui-même dénoncé la « violence étudiante ». Les causes profondes de la répression soulevée dans cette brochure sont le capitalisme, l’État, l’arbitraire policier et des systèmes d’oppression comme le patriarcat et le racisme.

C’est une rupture radicale, abolissant les racines mêmes de l’exploitation et de l’oppression, qui est nécessaire puisque l’on se rend bien compte que ces problèmes sont d’ordre systémique et non le fruit d’une suite aléatoire de politiques, décisions et événements particuliers. Une prison aménagée demeure une prison et la domination aménagée par les réformes demeure la domination. En conséquence, il faut abolir l’ordre hypocrite; il faut se révolter. Mais nos aspirations ne s’éteignent pas à l’aube, nous avons également soif de reconstruire sur des bases nouvelles, anti-oppressives et sans division de classes. Ces aspirations portent un nom : c’est la Révolution sociale.

À cette fin, la volonté est bien importante mais il faut pouvoir et cela signifie ici de développer collectivement un mouvement se donnant les principes et les moyens de ses ambitions, toujours en préfigurant les rapports sociaux libérés. Les militantes et militants libertaires appuient activement les mouvements combatifs et jouent parfois même un rôle dans leur organisation. Toutefois, nombre d’entre eux et elles sont bien conscients et conscientes de la nécessité de diffuser et développer un courant massif en mesure de s’organiser politiquement en rupture avec l’ordre établi et l’idéologie hégémonique.

Le monopole de la violence est l’un des fondements des États. Que le régime soit de droite ou de gauche, nous devons nous attendre à ce que les mouvements sociaux dérangeants pour les pouvoirs établis soient constamment réprimés. Il faut en constater les effets dévastateurs sur les militants et militantes et sur la durée moyenne de leur implication. Pour que cela ne soit pas fatalité immobilisante, il est important de dépasser les revendications immédiates de nos luttes sectorielles en faisant front commun sur la base de nos intérêts réels de classe. En bref, nous devons passer à l’offensive et, en animant des pôles libertaires au sein des luttes, nous pouvons cultiver la conscience de notre cause commune. Une révolution sociale durant notre vie, c’est tout-à-fait possible.

Groupons-nous et demain…!

Lutter, puisque la vie est une âpre mêlée
Où l’on se bat sans fin contre plus fort que soi,
Et marcher le front haut sous la voûte étoilée
Sans se décourager des coups que l’on reçoit.
Lutter de tout son cœur et de toute son âme,
Sur tous les points du globe, et par tous les moyens,
Contre la renaissance et le retour de flamme
De ce qui reste en nous de préjugés anciens.
Lutter contre la peur, contre la maladie,
Contre la profondeur de l’égoïsme humain,
Contre la pauvreté d’un peuple qui mendie,
Contre le désespoir, la misère et la faim.
Lutter contre le joug des maîtres de la terre
Masquant leur dictature en tapageurs discours ;
Contre les trublions, les criminels de guerre,
Aigles noirs de haut vol et répugnants vautours…
Lutter contre les fous qui jouent à pigeon vole
En jetant vers le ciel d’affreux engins de mort…
Et, sans cesse assoiffés de gloire et d’auréoles,
Enchaînant l’avenir au culte du veau d’or.
Lutter pour le succès des causes généreuses,
Pour l’idéal de paix dont on a la fierté,
Pour le destin meilleur des plèbes douloureuses,
Pour le bonheur du monde et pour la liberté.
Lutter jusqu’à la fin du rêve ou du poème
Qui soutient notre cœur et l’enflamme en secret…
Et quant on n’est plus rien que l’ombre de soi même,
Sourire à la jeunesse et partir sans regret !

Eugène Bizeau

[1] Madeleine Pelletier. « Justice » dans Sébastien Faure (Dir.). « L’Encyclopédie anarchiste », Librairie internationale, Paris, 1934, [en ligne], http://www.encyclopedie-anarchiste.org/articles/j/justice, consulté le 20 juin 2012.
[2] Jean-Louis Boireau. « Godwin et la critique radicale du droit », Réfractions, no. 6, Paris, automne 2010, [en ligne], http://refractions.plusloin.org/spip.php?article330, consulté le 20 juin 2012.
[3] Chartrand, Vallières, Gagnon, Lemieux, Larue-Langlois. « Le procès des Cinq », Lux Éditeur, Montréal, 2010, p.65.
[4] Francis Dupuis-Déri. « Broyer du noir. Manifestations et répression policière au Québec », Les ateliers de l'éthique, CRÉUM, vol. 1, no. 1, Montréal, printemps 2006, p.59.
[5] Jean-Paul Brodeur. « Petite rhétorique de la répression » dans « Québec occupé », Éditions Parti Pris, Montréal, 1971, p.222-225.
[6] Herbert Marcuse. « Vers la libération », Éditions Gonthier, Paris, 1970, p.136
[7] La Ligue des droits de l’Homme. « L’escalade de la répression : signification et importance du phénomène au Canada et au Québec », Nouvelles recherches québécoises, vol. 1, no. 2, Éditions du courant, Montréal, 1978, p.37.
[8] James Petras. « La répression dans les pays capitalistes avancés », Nouvelles recherches québécoises, vol. 1, no. 2, Éditions du courant, Montréal, 1978, p.50-51.

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