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Anarchie et anarchisme: premier point de contact

category amérique du nord / mexique | divers | autre presse libertaire author Thursday August 02, 2012 14:23author by Étienne Desbiens-Després Report this post to the editors


En guise de conclusion, il faut refuser qu’à l’avenir, le lien qu’entretiennent les individus entre eux soit basé sur une compétition, voire la peur que l’autre puisse nous être dangereux. Il faut entrevoir la possibilité d’instaurer une vie d’entraide et de protection mutuelle, soit autant de propositions que l’anarchisme nous suggère; à condition encore qu’on accepte de tendre l’oreille aux idées qu’il nous propose. Je crois que le foisonnement d’idées qu’il génère nous permet de nous poser réellement la question pourquoi la démocratie?, et ultimement de nous sortir collectivement de cet objet de contemplation qui a échoué dans sa vocation.
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« L’objectivisme historique ressemble en cela à la statistique, qui n’est un si remarquable instrument de propagande que parce qu’elle fait parler la langue des “faits”, simulant ainsi une objectivité qui dépend en réalité de la légitimité des questions qu’elle pose. » (Gadamer, Vérité et Méthode)


J’introduis cet article - le premier d’une série qui portera, vous vous en doutiez un peu - sur l’anarchisme et son corollaire l’anarchie, par cette citation qui illustre le sentiment que j’éprouve face à ce qu’un Foucault se plaisait à qualifier de « régime de vérités ». Ainsi, il m’apparaît juste d’ébranler les fondations de ces « régimes de vérités » pour leurs tromperies, leurs mensonges, ou pratiquement pour relever les incapacités d’une « […] Démocratie qui ne savait pas, ne pouvait pas ou ne voulait pas produire au jour en vérité le demos qui devait faire son principe »[1]. Selon moi, ce qu’on croît être la démocratie s’est vidé peu à peu de son essence. Pourtant, on continue de se poser certaines questions plutôt circulaires notamment: qu’est-ce que la démocratie ? sans avoir un regard réflexif face à cette démarche qui questionne. C’est parce que nous avons la prétention de l’objectivité. Or, si l’on se pose la question : pourquoi la démocratie? On parvient déjà un peu mieux à se libérer de ce cercle vicieux, n'est-ce pas? C’est parce que Pourquoi porte en lui l’anéantissement de ce qu’il questionne[2].

 

Typologie des régimes : Démocratie, aristocratie, monarchie…et l’anarchie?

Justement, pourquoi se pose-t-on la question : qu'est-ce que la démocratie? Je crois que cela a comme origine une question qui sous-tend notre interrogation initiale. Cette interrogation initiale, la philosophie politique occidentale se l’est toujours posée, à savoir :  « Quel est le meilleur régime politique? » Or, à cette question, on assiste malheureusement à un évitement en proposant que seuls certains régimes purs ( Démocratie, Monarchie, Aristocratie) ou mixtes en l’incarnation de la République, formée d’éléments de ces trois régimes purs, se révèlent être de vrais régimes. Or, qu’est-ce qui explique qu’on assiste à ce contournement? Voici quelques pistes d’exploration.

D’entrée de jeu, nous pourrions affirmer que l’anarchie n’est pas comme ont pu le prétendre certains auteurs classiques une forme dégénérée de la démocratie; procès qui n’a fait, sinon que d’apporter de l’eau au moulin de ses détracteurs actuels et d’autrefois, « […] qu’appauvrir la philosophie politique. »[3] Tout ce que cette entreprise a réussi, c’est éviter de s’intéresser à un foisonnement d’idées considérées jusqu'alors comme incapables de « […]promouvoir la réalisation du bien commun pour l’ensemble de la communauté politique, ainsi que la vie bonne pour chacun de ses membres.»[4] Or, ce faisant, c’est dans un lieu commun que se sont enfermés ceux qui refusent ces idées. Pis encore, il faut réaliser, et c’est en se posant la question « pourquoi la démocratie? » que l’état de fait dans lequel nous vivons n’est pas le seul à détenir le monopole de la réalisation de ce bien commun. Qui plus est, cette « démocratie » échoue-t-elle dans sa vocation?

Un nécessaire détour étymologique nous permet quelque peu d’expliquer ces accusations, sans toutefois élucider pourquoi on a discrédité en la boudant l’anarchie dans les différentes typologies des régimes. Comme mentionné dans la revue Intervalles, le terme « anarchisme » provient du terme grec anarckhia, qui signifie absence de pouvoir[4]. On pourrait cependant préciser que cette absence de pouvoir peut aussi ou même doit signifier « l’absence de gouvernement »[5], « sans État »[6] ou bien encore se résume comme étant la « […]théorie qui s’oppose à toutes les formes coercitives de gouvernements. »[7]

La dérive qu’a subi le terme anarchie vers une attribution d’un sens négatif vient sans doute en partie de l’enracinement des idées, vers un sens accepté, promu et relayé par les théoriciens dits modernes tels que Machiavel qui y voyait une forme dégénérée de la démocratie, comme le faisaient les classiques autrefois. Leur argumentation tourne plus ou moins autour de cette idée fausse : qu’en l’absence d’un pouvoir et/ou gouvernement, on assisterait à la folie destructrice de la nature humaine, situation peu enviable pour n’importe quelle collectivité, car il s’agirait d’un état de faits rendant impossible la réalisation du bien commun.

 

L’anarchisme aujourd’hui

Aujourd’hui, une réactivation des thèmes anarchistes, et abstraction faite du sens négatif qu’on donne au terme anarchisme lui-même, nous permet de considérer celui-ci comme étant « […] plus seulement comme l’utopie d’une société sans gouvernement, mais aussi comme une visée politique. »[8] Que peut donc représenter alors cette visée de l’anarchie? L’absence de gouvernement est-elle en soi l’unique destination de l’anarchisme? Un bon nombre de concepts sous-jacents nous permet de comprendre comment se déploie l’anarchisme.

Nous attirerons notre attention sur une définition proposée par Goldman, mais qui sans doute n’a pas autorité en la matière. L’intérêt ici est de déceler des éléments qui semblent être communs aux auteurs qui se réclament de l’anarchisme, et ce faisant, facilitera notre compréhension. Ainsi, cette dernière propose que l’anarchisme représente : «  the philosophy of a new social order based on liberty unrestricted by man-made law; the theory that all forms of government rest on violence, and are therefore wrong and harmful , as well as unnecessary. » [9]

L’anarchisme se pose selon Goldman comme la philosophie qui se baserait sur un nouvel ordre social, celui par exemple d’une justice sociale pour reprendre les termes de Pucciarelli. Cette justice sociale doit d’une part s’exercer dans une société qui ne repose plus sur un système de lois où un quelconque gouvernement détient le monopole de la violence légitime. Il s’agit là d’un constat que tous les anarchistes, sans doute, considèrent mauvais, voire dangereux. Donc, d’une part, on prône l’abolition des autorités et le refus de la domination[10] telle qu’on les connaît aujourd’hui, qu’elles soient wébériennes ou autres, mais surtout on vise à ne pas remplacer celles-ci par toute autre formes instituée de pouvoir[11]. C’est sans nous rappeler la conception Abansourienne de la vraie démocratie, d’affirmer que l’égalité et la liberté que prône l’anarchisme se retrouveraient à cheval entre ces deux fronts; combat d’une part contre l’ancien Régime, avec ses formes instituées de pouvoir, et le remplacement par le Nouveau Régime, lui aussi susceptible de voir reconstruire d’autres formes instituées de pouvoir. J’ajouterais à ceci que l’anarchisme par l’herméneutique qu’il met de l’avant doit aussi permettre à l’individu de remettre en question radicalement le système de pensée dans lequel il évolue. Autrement dit, les idéaux de liberté et d’égalité doivent aussi, pour s’enraciner dans la praxis, faire l’objet d’un travail individuel de remise en question profonde des rapports qu’on entretient avec l’Autre. Se faisant, on doit refuser tous dictats et/ou vestiges de dictats, autant qu’ils soient religieux, métaphysiques ou idéologiques dans la manière de concevoir nos relations au quotidien. Nous pourrions s’étendre sur la morale anarchiste, nous y reviendrons nécessairement.

En dernier lieu, en guise de synthèse (et je n’entends pas ici la synthèse dans son sens hégélien, contraire à l’anarchisme selon moi) nous pourrions retenir quelques concepts qui sous-tendent la philosophie de l’anarchisme ou qui du moins semblent se recouper chez les auteurs: la liberté, l’égalité et la société. Ces derniers peuvent chapeauter cet examen des concepts, car ils représentent en quelque sorte le triptyque de la pensée anarchique, ce vers quoi on doit tendre : « […] l’anarchie doit être entendue comme le régime propre à des individus qui veulent vivre en commun dans un contexte de liberté et d’égalité réelles, sans être soumis à une autorité politique exercée par certains privilégiés. »[12] Car, c’est peut-être bien de cela qu’il s’agit; la réalisation du bien commun n’a pas comme condition sine qua non l’établissement d’une classe politique extérieure à notre société. La domination qui découle de ce rapport d’extériorité peut être inexistante, encore faut-il refuser qu’elle existe. Pour y parvenir, à cette égalité et liberté réelles, il faut qu’il existe à travers le mouvement qu’initie l’anarchisme une liberté qui souffle parmi les hommes et qui est sans cesse reconstruite par l’effort de chacun d’améliorer ses rapports dorénavant exempts d’autorité instituée. Ces deux principes ne doivent plus être le résultat de prétentions métaphysiques dans une forme imaginaire et inaccessible sous l’égide d’une entité - par exemple - étatique qui se targue d’être le tenant du bien commun. Ce monopole du bonheur, qui n’est que prétention, doit plutôt et avant tout se fractionner pour pouvoir se déployer à travers chaque individu afin de réintroduire la possibilité que chacun puisse vivre de façon égalitaire et libre. Il faut conséquemment « […] affranchir les institutions populaires des surcroissances autoritaires, afin de pouvoir rendre à l’esprit collectif des masses sa pleine liberté. »[13]

Au quotidien, ce genre d’aspiration pourrait exister à travers des sociétés autogérées où règne un consensus parmi ses membres ou comme nous le rappelle Graham, il faut créer  une société vidée de tous pouvoirs et dorénavant : «  […] founded upon the consent of all its associates. » [14]

En guise de conclusion, il faut refuser qu’à l’avenir, le lien qu’entretiennent les individus entre eux soit basé sur une compétition, voire la peur que l’autre puisse nous être dangereux. Il faut entrevoir la possibilité d’instaurer une vie d’entraide et de protection mutuelle, soit autant de propositions que l’anarchisme nous suggère; à condition encore qu’on accepte de tendre l’oreille aux idées qu’il nous propose. Je crois que le foisonnement d’idées qu’il génère nous permet de nous poser réellement la question pourquoi la démocratie?, et ultimement de nous sortir collectivement de cet objet de contemplation qui a échoué dans sa vocation.

 

 

1.NANCY, Jean-Luc, Vérité sur la démocratie, Galilée, p.17

2.LYOTARD, Jean-François, Pourquoi philosopher?, Presses Universitaires de France, Paris, 2012, p.22

3.DUPUIS-DÉRI, Francis, « L’anarchie en philosophie politique : réflexions anarchistes sur la typologie traditionnelle des régimes politiques », Ateliers de création libertaire, 1999, pp.182

4.ibid

5.Anonyme, « Un mot qui vient de loin », Intervales, no 59, 2001, pp.25

6.GRAHAM, Robert, « Anarchy and Anarchism », Anarchism : A documentary, History of Libertarian Ideas, Montréal, Black Rose Books, 2005, pp.125

7.GOLDMAN, Emma, « Anarchism : What it really stands for », E.Goldman, Anarchism and Other Essays, New York, Dover Publications, 1969 [1917], pp.57

8.RUSSELL, Bertrand, «Chapitre II : Bakounine et l’anarchisme », B.Russell, Le monde qui pourrait être : Socialisme, anarchisme et anarcho-syndicalisme, Paris, Denoël/Gonthier, 1973 [1966], pp. 50

9.Anonyme, « Un mot qui vient de loin », Intervales, no 59, 2001, pp.30

10.GOLDMAN, Emma, « Anarchism : What it really stands for », E.Goldman, Anarchism and Other Essays, New York, Dover Publications, 1969 [1917], pp.57

11.PUCCIARELLI, Mimmo D., « 1. Les principes de bases de l’anarchisme », M.D Pucciarelli, L’imaginaire des libertaires aujourd’hui, Lyon, Atelier de création libertaire, 1999, pp.192

12.« […] des courants de pensée et d’action qui cherchaient- non pas à remplacer une autorité par une autre, mais à démolir l’autorité qui s’était greffée sur les institutions populaires- sans en créer une autre à sa place. » dans KROPOTKINE, Pierre, La science moderne et l’anarchie, Paris, Phénix, 2004 [1913], pp.5

13. KROPOTKINE, Pierre, La science moderne et l’anarchie, Paris, Phénix, 2004 [1913], pp.5

14.DUPUIS-DÉRI, Francis, « L’anarchie en philosophie politique : réflexions anarchistes sur la typologie traditionnelle des régimes politiques », Ateliers de création libertaire, 1999, pp.190

15.RAHAM, Robert, « Anarchy and Anarchism », Anarchism : A documentary, History of Libertarian Ideas, Montréal, Black Rose Books, 2005, pp.127.

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