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L'économie de Marx pour les anarchistes

category international | Économie | opinion / analyse author Monday November 21, 2011 10:23author by Wayne Price Report this post to the editors

Une introduction anarchiste à la Critique de l'économie politique de Marx

Ce qui suit est le chapitre d'introduction (2e édition) du livre que je suis en train d'écrire et qui porte le titre et sous-titre ci-haut. Cette introduction s'attarde aux raisons pourquoi il serait utile aux anarchistes et socialistes libertaires d'apprendre de l'économie politique de Marx, malgré le passé négatif entre anarchistes et marxistes.

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L'économie de Marx pour les anarchistes

Une introduction anarchiste à la Critique de l'économie politique de Marx

Le monde fait face à des boulversements pénibles dont les aspects sont politiques, militaires, écologiques, culturels et spirituels, même. De toute évidence, cela inclut également une crise économique profonde qui s'ajoutera à tous les autres problèmes. Il nous faut comprendre la nature de la crise économique si nous espérons l'adresser.

Parmi les théories économiques, les deux écoles principales sont bourgeoises, dans le sens où elles se positionnent en faveur du capitalisme. Tant l'école conservatrice et monétariste du libre-marché débridé et son pendant libéral/social et démocratique, que l'école keynésienne, existent pour justifier le capitalisme et conseiller les gestionnaires de l'économie capitaliste.

La seule théorie économique alternative est celle développée par Karl Marx. Sa théorie a été pensée pour amener la classe ouvrière à comprendre le système capitaliste dans le but d'y mettre fin (une des raisons pourquoi il a appelé sa théorie une « critique de l'économie politique »). D'autres radicaux, en particulier les anarchistes, ont développé certaines idées relatives à l'économie, comme, par exemple, la forme que prendrait une économie post-capitaliste. Mais personne, à l'exception de Marx, n'a développé d'analyse générale sur le fonctionnement du capitalisme en tant que système économique. Je me suis donc concentré sur ses travaux, bien que je soit un anarchiste et pas un marxiste (ni un économiste, d'ailleurs). Je veux dire, par là, que je n'accepte pas la vision du monde développée par Karl Marx et Friedrich Engels, bien que je soit en accord certaines grandes parties de celle-ci.

Je ne revendique aucune originalité. Tout au plus, là où il existe des interprétations différentes de la théorie de Marx, je pourrais adopter une position minoritaire. Mais je me concentre sur la théorie de Marx, telle qu'exprimée dans les trois volumes principaux du Capital, du Grundrisse, et quelques autres écrits, ainsi que ceux de son proche collaborateur et camarade, Friedrich Engels.

Par ailleurs, je ne m'attarderai pas aux théories « marxistes », ce qui inclut les commentateurs post-Marx, qui, dans certains cas, sont en désaccord avec des divers points fondamentaux de l'opinion de Marx. Par exemple, de nombreux soi-disant économistes politiques marxistes rejettent la théorie de la valeur de Marx. Plus encore rejettent sa notion de baisse tendancielle des taux de profit. Beaucoup rejettent la possibilité d'un capitalisme d'état. La plupart sont de facto partisans du capitalisme d'état! (La plupart des marxistes démocratiques/réformistes appellent à ce que l'État intervienne dans l'économie afin de renflouer le capitalisme. La plupart des marxistes révolutionnaires cherchent à renverser l'État existant pour le remplacer par un nouvel État qui remplacerait la bourgeoisie par la propriété d'État -- tout en préservant la relation entre capital et travail.) Tout au plus, je devrai aborder quelques marxistes post-Marx, lorsque j'aborderai l'impérialisme et l'ère de du capitalisme décadent.

Il eu plusieurs différentes introductions à l'économie marxiste, à commencer par celles écrites par Marx lui-même, comme Valeur, Prix et Profit et Travail salarié et Capital, sans compter la vaste quantité d'oeuvres plus sophistiquées sur le sujet. Mais celles écrites par des anarchistes, pour des anarchistes et d'autres socialistes libertaires, sont très rares. Je pense que ce serait utile aujourd'hui.

Est-ce que les anarchistes peuvent apprendre de Marx?

Mais comment est-ce que les anarchistes peuvent apprendre quoi que ce soit des marxistes? La première Internationale fut déchirée par une lutte intestine entre les disciples de Marx et ceux de Michael Bakounine, le fondateur du mouvement anarchiste. La deuxième Internationale (socialiste) a refusé les anarchistes. Dans la foulée de la révolution Russe, le régime de Lénine et Trotsky ont fait arrêter et fusiller les anarchistes. Durant la révolution espagnole des années 1930, les staliniens ont trahi et assassiné les anarchistes. Plus généralement, le mouvement marxiste a mené, dans un premier temps au réformisme social-démocrate et au à l'appui à l'impérialisme occidental, puis, dans un deuxième temps, au capitalisme d'état totalitaire et génocidaire (incorrectement appelé « Communisme »). En fin de compte, après l'effondrement, ce fut le retour au capitalisme traditionnel.

Pourtant, le marxisme et l'anarchisme ont tous deux émergé des mouvements ouvriers et socialistes du 19ième siècle. Tous deux avaient les mêmes objectifs : fin du capitalisme, des classes, de l'État et de toutes les oppressions. Tous deux se sont concentrés sur la classe ouvrière, alliée aux autres opprimés dans la population, comme agent de changement.

Les anarchistes ont cependant rejeté les concepts d'État de transition (la « dictature du prolétariat »), d'économie post-capitaliste nationalisée et centralisée, de stratégie de construction de partis politiques ainsi que la tendance au déterminisme téléologique. Au contraire, les anarchiste ont cherché à remplacer l'État par des fédérations non-étatiques de conseils ouvriers et d'assemblées communautaires, à remplacer la police et l'armée par l'organisation démocratique d'un peuple armé (une milice), et à remplacer le capitalisme par des fédérations de lieux de travail, d'industries et de communues autogérés et planifiées démocratiquement par le bas.

Mais beaucoup d'anarchistes, à commencer avec Bakounine, ont exprimé leur appréciation pour la théorie économique de Marx. On observe cela encore aujourd'hui. Ceux-ci croyaient qu'on pouvait la disloquer de la startégie politique de Marx. Par exemple, Cindy Milstein, une anarchiste américain influente, écrivait dans Anarchism and its Aspirations, « Plus que tout autre, Karl Marx a saisit le caractère essentiel de ce qui est devenu une structure sociale hégémonique -- articulé de manière particulièrement convaincante dans Le Capital... » (2010, p. 21).

Des radicaux ont soutenu qu'il y avait deux côtés au marxisme (c'est-à-dire, le marxisme de Marx) -- et je suis d'accord. Un côté était libertaire, démocratique, humaniste et prolétaire, et l'autre était autoritaire, étatiste et bureaucratique; un côté était scientifique et l'autre déterministe et scientiste (pseudo-scientifique). De ce point de vue, les staliniens totalitaires ont utilisé les deux penchants du marxisme de Marx, pas seulement l'aspect centralisateur et autoritiare, mais aussi l'aspect positif, libertaire et humaniste, afin de peindre une portrait attrayant sur leur réalité monstrueuse. C'est ainsi qu'ils ont trompé des millions d'ouvriers et paysans, rassemblés dans des mouvements de masse, qui croyaient se battre pour un monde meilleur. Mais est-ce que cela signifie nécessairement que les socialisates libertaires devraient rejetter toute l'oeuvre de Marx, incluant les aspects positifs?

Il y a longtemps existé une tendance minoritaire au sein du marxisme, basée sur ses aspects humanistes et libertaires-démocratiques. Cela remonte à William Morris, qui a travaillé avec Engels alors qu'il était ami avec Pierre Kropotkine et ça se poursuit aujourd'hui avec les marxistes « autonomistes ». La version de l'économie marxiste que j'ai apprise est fortement influencée par la tendance « John-Forrest » (C.L.R. James et Raya Dunayeskaya) et par Paul Mattick (des communistes de conseils).

Je n'affirme par ici que, contrairement aux marxistes-léninistes autoritaires, ces marxistes libertaires était « justes » dans leur interprétation de Marx. Je ne fais que souligner que, objectivement, il est possible de combiner une partie de l'économie maxiste avec une politique qui est essentiellement identique à l'anarchisme. J'en suis venu à la conclusion qu'il était donc possible pour les anarchistes d'apprendre de la critique de l'économie politique de Marx.

Marx était-il un plagiare?

Voilà une autre plainte soulevée par les anarchistes au sujet de l'économique politique de Marx. Certains dénoncent Marx parce qu'il n'aurait pas inventé sa propore théorie mais l'aurait apprise d'autres intellectuels, incluant Pierre-Joseph Proudhon, celui qui fut le premier à s'identifier comme « anarchiste ». Ils dénoncent Marx comme un plagiare.

Il n'y a pas de doute que Marx a minutieusement étudié les penseurs qui l'ont précédé, incluant des économistes politiques bourgeois et des auteurs socialistes. Ses écrits, publiés ou non, se lisent souvent comme des dialogues entre lui-même et des économistes qui l'ont précédé (par exemple, Théories sur la valeur de surplus, le « quatrième volume » du Capital). C'est un autre aspect du sens qu'il voulait donner à sa « critique de l'économie politique ». Tout en affirmant les dépasser, il n'a jamais nié qu'il se basait sur les penseurs qui l'ont précédé. Il respectait certains économistes politiques (en particulier ceux de la ligne d'Adam Smith et David Ricardo). D'autres, il méprisait (les purs apologistes qu'il surnommait les « pugilistes »).

Lorsque Marx et Engels ont lu Proudhon, puis l'ont rencontré en France, ils ont été impresionnés. En tant que modeste artisan ouvrier, Proudhon avait développé une critique du capitalisme et un concept du socialisme. Les deux jeunes radicaux, issus de la classe moyenne, ont appris de lui. Dans La Sainte famille (le premier livre vraiment « marxiste »), Marx et Engels ont commenté l'oeuvre de 1840 de Proudhon, Qu'est-ce que la propriété? :
« Et voici Proudhon qui soumet la propriété privée, base de l'économie politique, à un examen critique, au premier examen catégorique, aussi impitoyable que scientifique: C'est là le grand progrès scientifique qu'il a réalisé, un progrès qui révolutionne l'économie politique et rend pour la première fois possible une véritable science de l'économie politique. » (http://classiques.uqac.ca/classiques/Engels_Marx/sainte_famille/sainte_famille.pdf).
Plus tard, Marx et Engels sont devenus des oppposants politiques et théoriques de Proudhon. Marx a attaqué ses points de vue dans Misère de la philosophie et Engels dans La question du logement. Je n'entrerai pas dans les questions théoriques soulevées ici; je pense que Marx et Engels ont appris de Proudhon puis l'ont dépassé de certaines façons. Bakounine a dit, au sujet des théories de Proudhon,
« Dans l’impitoyable critique qu’il [Marx] en a faite il y a sans aucun doute beaucoup de vrai : malgré tous ses efforts pour se placer sur un terrain solide, Proudhon est resté un idéaliste et un métaphysicien. Son point de départ est la notion abstraite du droit ; il va du droit au fait économique, tandis que M. Marx, contrairement à lui, a énoncé et démontré l’incontestable vérité, confirmée par toute l’histoire ancienne et moderne de la société humaine, des nations et des États, que le fait économique a toujours précédé, et continue de précéder le droit politique et juridique. Un des principaux mérites scientifiques de M. Marx est d’avoir énoncé et démontré cette vérité. » (http://www.theyliewedie.org/ressources/biblio/fr/Joyeux_Maurice_-_Bakounine_en_France.htm).
À part la théorie économique immédiate, Proudhon s'opposait aux syndicats, aux grèves, sans compter la révolution de la classe ouvrière. Mais, Proudhon avait développé le concept d'un socialisme décentralisé et fédératif, ce qui était contraire aux centralisme étatique de Marx. Ce concept a été important dans le développement de l'anarchisme révolutionnaire.

Dans tous les cas, toute cette discussion est futile. La question clé devrait être si oui ou non la théorie économique de Marx est une bonne théorie, utile pour comprendre l'économie capitaliste et utile pour le développement d'une réponse politique à celle-ci. Le fait que Marx ait appris des autres, ou à quel degré, n'a pas d'importance. S'il a eu des bonnes idées de Proudhon, alors tant mieux pour lui.

Critique de l'économie politique?

Tout le monde ne s'entend pas à savoir s'il faut référer à « l'économie de Marx », « l'économie politique de Marx » ou « la critique de l'économie politique de Marx ». Concernant la première expression, Marx a effectivement traité de la production et de la distribution de biens et d'autres sujets qui sont des questions typiques abordées dans les textes sur « l'économie ». En même temps, ses motivations et objectifs étaient totalement différentes de ceux des économistes bourgeois : son but n'était pas d'améliorer le fonctionnement du système, mais de le renverser.

Quant à « l'économie politique », c'est un terme pris d'Aristote, qui distinguait entre « l'économie domestique » (du foyer et de la ferme) et « l'économie politique » (de polis — de la communauté en général). Les premiers économistes bourgeois ont récupéré le terme. Ils ont connecté leur analyse de l'économie avec le rôle des classes et de l'État. Les radicaux contemporains aiment utiliser le terme pour souligner qu'ils intègrent la production et la consommation avec le rôle de l'État et de la toalité sociale. Cependant Marx lui-même utilisait généralement « économie politique » comme synonyme d'économie bourgeoise.

Marx a préféré utiliser la phrase « critique de l'économie politique ». Ce fut le titre ou le sous-titre de plusieurs de ses livres (incluant Le Capital). Le mot « critique » signifiait « une analyse critique », c'est-à-dire l'examen des aspects positifs et négatifs de quelque chose, en tenant compte de leurs interactions. Bien qu'il en respectait quelques-uns pour leurs intuitions, il était l'ennemi des économistes politiques. Il était l'opposant du système qu'il examinait et exposait. Aujourd'hui, certains marxistes préfèrent dire qu'ils développent la « critique de l'économie politique ». Mais s'agit peut-être d'une expression un peu longue et embarassante.

J'ai utilisé les trois termes. Mais il est essentiel de garder en tête que ce que nous entamons est une attaque contre la théorie économique bourgeoise et contre l'économie capitaliste. De façon bien réelle, tout Le Capital de Marx étatit une justification de ce qu'il a écrit dans la conclusion du Manifeste pour le parti communiste : « Les prolétaires n'ont rien à y perdre que leurs chaînes. Ils ont un monde à gagner. Prolétaires de tous les pays, unissez-vous! » et ce qu'il a écrit comme première « règle » de la Première Internationale : « L'émancipation des classes ouvrières doivent être conquises par les classes ouvrières elles-mêmes ».

* Le deuxième chapitre portera sur la méthode de Marx, la théorie de la valeur du travail et sur la nature de la plus-value.

Écrit pour www.Anarkismo.net

author by Jerome - UCLpublication date Mon Nov 21, 2011 11:25author email jerome at riseup dot netauthor address author phone Report this post to the editors

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