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Présence dans les syndicats

category france / belgique / luxembourg | mouvement anarchiste | débat author Friday November 04, 2011 19:26author by Georges Fontenis Report this post to the editors

Article paru dans "Socialisme ou Barbarie" n°15, novembre 1954

Nous avons reçu du camarade G. Fontenis, dirigeant de la Fédération Communiste Libertaire, le texte publié ci-dessous. Notre désaccord avec les positions du camarade Fontenis sur le problème syndical ne nous empêche pas d’apprécier la clarté de son argumentation et nous pensons que ce texte, en exposant d’une manière dense et précise le point de vue des partisans de la participation aux syndicats, offre une excellente base à la discussion que nous comptons poursuivre dans le prochain numéro de Socialisme ou Barbarie. Le texte de Mothé que critique Fontenis a été publié dans notre n°14 (p. 27 à 38).
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La thèse de Mothé est, à première vue, incontestable. Simple, logique, séduisante. A mon sens, trop simple, trop séduisante, trop logique. C’est que rien n’est simple dans le problème syndical malgré les apparences, il faut, dans ce domaine plus qu’ailleurs peut-être, se méfier d’un raisonnement logique qui risque fort de passer au-dessus des véritables questions – celles que se posent à chaque pas les militants ouvriers – et il est à craindre que les conclusions de Mothé ne séduisent que parce qu’elles proposent une fuite devant des luttes difficiles et parce qu’elles flattent un certain goût de l’avant-garde pour les positions tranchées et qui paraissent sans appel. On peut ramener la démonstration de Mothé au schéma suivant : les syndicats, réformistes par nature, sont aujourd’hui divisés selon les affinités de leurs bureaucraties avec un bloc impérialiste ou l’autre, les travailleurs se détachent de plus en plus de ces syndicats-agences impérialistes, l’unité ouvrière se fera sous d’autres formes organisationnelles que les syndicats, donc les révolutionnaires n’ont pas à lutter pour une unité syndicale utopique et même ils n’ont rien à faire, du tout, dans les syndicats.

Nous serons d’accord sur toute la partie théorique-historique de la thèse Mothé, mais non sur son opinion concernant la désaffection des travailleurs pour les syndicats et moins encore sur les conclusions. Nous admettons même qu’aucun militant de l’avant-garde (quelques rares spécimens d’authentiques syndicalistes révolutionnaires mis à part) ne discute plus l’incapacité révolutionnaire et la nature réformiste du syndicat, caractères liés à ses tâches et à sa structure correspondant aux conditions de la société capitaliste. Nous admettons également que les syndicats se soient de plus en plus intégrés aux blocs impérialistes. Mais tout cela n’est pas neuf, et quant au fond, Malatesta, de son côté, et Lénine du sien, avaient déjà souligné le caractère réformiste des syndicats. Ils n’en déduisaient pas pour autant, tout au contraire, qu’il fallait les abandonner à eux-mêmes.

Les conditions sont-elles changées à un point tel que les révolutionnaires doivent abandonner la lutte au sein des syndicats, doivent considérer qu’il est totalement impossible de lutter pour leur fonctionnement démocratique, pour la prise de conscience de classe de leurs membres, en un mot qu’il est impossible d’y contribuer à la préparation des conditions révolutionnaires ? Mothé ne raisonne-t-il pas un peu comme s’il s’était fait jadis des illusions sur le syndicat ? Découvrant leur caractère réformiste, il s’en détourne, cherche autre chose comme instrument révolutionnaire. Pour nous, ne nous étant jamais illusionnés, nous ne pouvons être déçus et c’est en connaissance de cause que nous travaillons et travaillerons dans le cadre limité des syndicats. Nous ne devons pas avoir présente à l’esprit seulement la pression générale de la société capitaliste et la pression des bureaucraties sur les syndicats, mais également la pression exercée par les syndiqués sur leurs bureaucrates et contre les obstacles du capitalisme, en vertu de leurs intérêts de classe. Ceci suffirait déjà à justifier théoriquement la présence des révolutionnaires dans les syndicats. Mais nous devons maintenant examiner les conditions pratiques actuelles de la lutte des révolutionnaires dans les syndicats.

Selon Mothé, les travailleurs se détournent de plus en plus des syndicats. Sans doute, ne sommes-nous plus en 1936 ou en 1945, mais il y a encore aujourd’hui, par rapport aux années 1930, par exemple, un nombre important de syndiqués et même de militants syndicaux. Se reporter aux années de pointe 36 ou 45, c’est oublier l’expérience des vieux militants, c’est se baser sur une donnée qui peut être factice, passagère. La désaffection syndicale n’est ni aussi grave, ni aussi générale que ne le voit Mothé qui se base peut-être exclusivement sur quelques exemples. A côté du fléchissement limité des effectifs, nous observons la création de sections syndicales, la participation restée très importante des ouvriers aux élections de délégués du personnel ou de membres des Comités d’entreprise, et surtout le maintien des effectifs là où l’unité a été préservée pour des raisons particulières à la profession (Enseignement) et où cependant l’activité syndicale est discutable et l’inefficacité syndicale manifeste.

Sans doute l’inactivité et l’incapacité relatives des syndicats sont-elles pour quelque chose dans la baisse limitée des effectifs, mais il semble bien que la raison essentielle de la désaffection des travailleurs est la division syndicale. Les travailleurs manifestent fréquemment leur opinion sur ce point et Mothé écrit lui-même que les travailleurs pour passer à l’action attendent que les syndicats des diverses centrales se mettent d’accord. Faire état de jugements inconscients – et donc inexprimés – des travailleurs sur l’incapacité fondamentale des syndicats serait fantaisiste. Nous devons nous en tenir a ce qui est évident ou démontré.

Tombons-nous pour autant dans l’illusion trotskiste de l’Unité Syndicale réalisée par le miracle des confrontations entre états-majors syndicaux ? Nous dénonçons au contraire, avec Mothé, la manie exaspérante des trotskistes consistant à prétendre pousser les masses à des expériences – déjà multiples ! – en accroissant la confusion. Mais nous pouvons, des justes remarques sur le désir d’unité syndicale des masses, tirer de tout autres conclusions que les trotskistes, et celle-ci essentiellement : les travailleurs restent attachés à la forme d’action syndicale qui ne leur paraît ni périmée, ni stérile. Pour ce qui est des possibilités d’unité, il nous paraît improbable que la lutte des deux blocs passe par des phases telles qu’une unification, même provisoire, puisse se réaliser. Ce n’est toutefois pas totalement impossible et nous reverrions alors, en cas d’unification, se produire un phénomène de montée des effectifs, comme en 36, à la suite d’une période de division et de stagnation.

Mais ce qui est à envisager avec davantage de probabilité, c’est un renforcement des effectifs dans une des centrales existantes, plus capable que les autres de conduire un mouvement revendicatif réussi, ce qui n’est tout de même pas impensable. Allons plus loin, des grèves menées en dehors des directions syndicales, par des Comités de grève, peuvent concourir à renforcer le recrutement syndical d’une centrale existante ou bien aboutir à la formation d’autres organisations qui seront encore des syndicats même si elles prennent un autre nom. L’expérience a montré que les Comités de grève et les Comités d’action ne survivent pas à l’action et que seuls des syndicats, anciens ou nouveaux, sont capables de regrouper des travailleurs.

Pour en finir avec le problème de l’Unité, précisons que nous ne pouvons qu’encourager les travailleurs à vouloir et exiger l’unité, en leur expliquant que cette unité ne peut se réaliser vraiment que contre les bureaucrates, en les débordant, et qu’elle ne peut se réaliser que dans l’action. Bien entendu, Mothé nous dira alors que ce que nous envisageons, c’est l’unité ouvrière et qu’elle ne se réalisera pas dans le cadre syndical. Pourtant, nous pensons que des réalisations même localisées d’unification d’organisations syndicales peuvent jouer un rôle dans la prise de conscience antibureaucratique des travailleurs et même si elle ne devait pas aboutir avant longtemps ou si elle devait aboutir sous des formes imprévues, la tension de la classe ouvrière vers l’unification mérite d’être utilisée par les révolutionnaires au sein des syndicats.

Quant à l’unité ouvrière au sens large, sans doute Mothé a-t-il raison lorsqu’il estime qu’elle peut se réaliser en dehors des syndicats. Elle peut même se réaliser malgré les divisions syndicales et elle se réalise souvent dès aujourd’hui. Mais croire, comme Mothé, qu’elle se réalisera organisationnellement – et hors des cadres syndicaux bien entendu – c’est se placer déjà dans le cadre de la période ouvertement révolutionnaire. Quand cette unité se réalise aujourd’hui, c’est uniquement dans des périodes de pointe et sous des formes organisationnelles passagères qui avortent dès qu’on entre dans une période d’accalmie ou de moindre activité. Les Comités de grève et les Comités d’action ne survivent pas à l’action, nous le répétons. Ce que les travailleurs veulent, c’est une organisation, permanente, solidement structurée [1] pour la défense contre le patron (patron privé ou bureaucratie).

Et, qu’on le veuille ou non, cette organisation permanente aura ses limitations réformistes (les travailleurs exigeront qu’on s’occupe des petits problèmes, de l’application des lois sociales, etc.), ses dangers d’évolution bureaucratique. Même si on veut appeler ces organisations d’un autre nom, même si elles naissent sur la dépouille d’anciens syndicats vidés de leurs adhérents, elles seront aussi des syndicats.

Il apparaît donc que le militant révolutionnaire, s’il veut, dans les longues périodes de relative stagnation, garder contact avec les masses et leurs problèmes immédiats, s’il veut gagner l’estime et la confiance des travailleurs, doit participer à l’activité syndicale. Or, cette estime et cette confiance, difficiles à obtenir, sont nécessaires même au moment de l’action révolutionnaire et dans le cadre d’organismes nouveaux comme les Conseils.

Au reste, on voit mal pourquoi les militants révolutionnaires ne pourraient mener la lutte antibureaucratique au sein des syndicats. C’est là justement qu’elle peut se mener au mieux et par des démonstrations vivantes. Lutter de l’extérieur, c’est se fermer tout un auditoire. Et n’oublions pas que dans certains secteurs ouvriers divisés en une infinité de lieux de travail ou de petites entreprises, seule la réunion syndicale permet de grouper l’ensemble des travailleurs et de se faire entendre.

Et puis, ne resterait-il que 15% des travailleurs dans les syndicats, ces 15% sont, même s’ils sont égarés, parmi les plus combatifs, les plus accrochés aux luttes ouvrières et ce serait une erreur fatale que de les laisser aux mains de leurs bureaucrates. Attendre qu’ils s’éclairent tout seuls, c’est en revenir à nier tout rôle de l’avant-garde. N’oublions pas que des tendances oppositionnelles se manifestent au sein des masses syndiquées et qu’il faut leur venir en aide.

Nous sommes les premiers, communistes libertaires, à contribuer aux comités de grève, aux comités d’unité d’action qui se constituent au moment opportun, même en dehors des organisations syndicales et contre leurs bureaucraties. Et nous savons bien que les formes d’organisation du prolétariat en période révolutionnaire sont orientées vers le système des « conseils » et que les syndicats sont alors dépassés, appelés à disparaître en tant que tels [2]. Mais nous ne restons pas dans l’expectative, nous militons dans les syndicats en prenant notre parti de ce qu’ils sont et de leurs limites. Et bien entendu, nous n’oublions pas que l’activité syndicale n’est pas toute l’action ouvrière, et nous n’oublions pas non plus la nécessité de militer sur le plan politique et de nous organiser politiquement en vue de travailler, en dehors et au sein des syndicats, à élever la conscience de classe des travailleurs, à les soustraire le plus possible aux bureaucrates, à leur ouvrir des perspectives révolutionnaires.

Georges Fontenis


[1] Les travailleurs qui ne vont plus au syndicat ne disent-ils pas : « Que faire ? Les critiques ne suffisent pas. Il faut constituer une organisation. » ? Mothé a dû en faire l’expérience.

[2] Il est évident que les syndicats qui participent aux faits révolutionnaires sont alors beaucoup plus et autre chose que des syndicats.

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