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Wednesday September 16, 2009 02:06 by Guillaume Davranche - AL Paris-Sud
Qu’entend-on exactement par « lutte des classes » ? La formule conserve une forte puissance évocatrice. Mais chacune et chacun y met un peu ce qu’il veut. Rappelons un peu d’où elle vient et ce qu’elle signifie exactement. La part du prolétariat dans la population active. Chiffres tirés de l’enquête emploi de l’Insee, 2005, en pourcentage des actifs occupés. © Colloghan En réalité, la lutte des classes n’est pas réductible à une forme particulière (grève, manifestation, guerre sociale, révolution, etc.). Tantôt latente, tantôt explosive, elle est plus ou moins virulente et politisée, selon les moments de l’histoire, en fonction de la hausse ou de la baisse de la conscience qu’ont les travailleurs et les travailleuses de former une classe – ce qu’on appelle la « conscience de classe ». La lutte des classes est un concept. Il ne s’agit pas d’être pour ou contre, c’est cela que ne veulent pas comprendre les libéraux. Il s’agit de constater qu’elle existe. Autant aujourd’hui qu’hier. Et d’agir avec.
Un texte fondateur du mouvement ouvrier moderne, le Manifeste du parti communiste de 1847 [1], débute par ces phrases devenues célèbres : « L’histoire de toute société jusqu’à nos jours n’a été que l’histoire de luttes de classes. Homme libre et esclave, patricien et plébéien, baron et serf, maître de jurande [2] et compagnon, en un mot oppresseurs et opprimés, en opposition constante, ont mené une guerre ininterrompue, tantôt ouverte, tantôt dissimulée, une guerre qui finissait toujours soit par une transformation révolutionnaire de la société tout entière, soit par la destruction des deux classes en lutte. Dans les premières époques historiques, nous constatons presque partout une organisation complète de la société en classes distinctes, une échelle graduée de conditions sociales. Dans la Rome antique, nous trouvons des patriciens, des chevaliers, des plébéiens, des esclaves ; au moyen âge, des seigneurs, des vassaux, des maîtres de corporation, des compagnons, des serfs et, de plus, dans chacune de ces classes, une hiérarchie particulière. La société bourgeoise moderne, élevée sur les ruines de la société féodale, n’a pas aboli les antagonismes de classes. Elle n’a fait que substituer de nouvelles classes, de nouvelles conditions d’oppression, de nouvelles formes de lutte à celles d’autrefois. » Notons que la théorie des classes n’est pas réductible au marxisme. Le Manifeste, texte de commande, est le produit d’une synthèse faite par Marx et Engels, des économistes et des penseurs socialistes de l’époque. L’historien Charles Andler y voyait « une résultante, plutôt qu’une invention originale et un point de départ : il s’inspire aussi bien de List, de Lorenz von Stein et de Pecqueur que de Bazard et de Proudhon » [3]. Deux classes structurantes Les rapports sociaux, multiples au sein d’une société, peuvent opposer différentes classes autour de divers antagonismes, et concourir à différentes hiérarchisations sociales. Depuis le triomphe du capitalisme au XIXe siècle, un antagonisme structure profondément deux classes sociales dans notre société : celle des capitalistes et celle des travailleurs. Avant 1981 on aurait dit « bourgeoisie » et « prolétariat », mais ces mots sont aujourd’hui tellement surchargés d’imaginaire qu’il est difficile de les limiter à leur seule valeur conceptuelle.
Outre qu’on distingue parfois des sous-classes à ces deux classes fondamentales (par exemple grand patronat et petit patronat), s’ajoute une classe intermédiaire, un peu flottante : la « petite bourgeoisie », ni salariée ni capitaliste. Elle regroupe les personnes qui possèdent leurs propres moyens de subsistance comme les petits commerçants et les professions libérales, ce qui leur confère une autonomie précaire par rapport aux capitalistes. La façon dont cette petite bourgeoisie défend ses intérêts est fluctuante. Elle se solidarise parfois avec le prolétariat, avec lequel elle a des intérêts objectifs (elle souffre elle aussi de l’économie de marché). Parfois au contraire, elle se solidarise avec la bourgeoisie, à laquelle elle souhaiterait s’identifier (sans en avoir les moyens réels) et dont elle peut partager les valeurs. A la pointe de la lutte Pour conclure, signalons ce trait de l’ex-marxiste Denis Kessler, qui a été le n°2 – et l’idéologue – du Medef entre 1998 et 2002, une période où le principal syndicat patronal a été particulièrement à l’offensive. Boute-en-train, Denis Kessler n’avait pas hésité à déclarer à son ami Dominique Strauss-Kahn, un des dirigeants du PS : « La lutte des classes, j’y crois toujours, mais maintenant je suis de l’autre côté de la barrière ! » [4]. Merci, Denis, pour ce cri du cœur. Guillaume Davranche (AL Paris-Sud) Notes: [1] Le titre peut paraître énigmatique pour un texte qui voit le jour plus de soixante-dix ans avant la fondation du Parti communiste tel qu’on le connaît. Mais le mot « parti » est ici à prendre non au sens de l’organisation politique (qui s’écrit, elle, avec une capitale initiale), mais au sens plus général d’un « camp politique » : celui des partisans du communisme. [2] Maître de jurande, c’est-à-dire occupant une place dirigeante dans l’organisation corporative d’un métier. [3] Charles Andler, Le Manifeste communiste de Karl Marx et Friedrich Engels. Introduction historique et commentaire, Rieder, 1901. [4] L’Express 24 février 2000. |
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