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Monday July 20, 2009 10:04 by Ruptures - Union communiste libertaire (UCL) ucl.quebec at causecommune dot net
Un texte du hors-série de la revue Ruptures (mai 2009) La position de la NEFAC sur le patriarcat n’a jamais été claire. Si parfois on se revendique de l’anarka-féminisme, c’est jamais sans définir le terme ni faire référence à des auteur-e-s, ni même à un courant précis issu du mouvement social. On préfère plutôt s’en tenir à des positions «contre l’oppression des femmes», au même titre que lors d’enjeux précis contre le racisme ou contre l’homophobie. Mais il faut se rendre à l’évidence, la NEFAC n’a jamais été capable de dépasser cette position et d’avoir une réelle et effective unité théorique sur l’interrelation des systèmes d’oppression. Loin de moi l’idée d’en arriver à une conclusion ici. Ce texte se veut plutôt une exposition au meilleur de mes connaissances des idées théoriques qui existent déjà sur cette question pour en démocratiser la réflexion (souvent monopolisées par les milieux universitaires). Ainsi, j’espère qu’il amorcera une réflexion plus globale sur les enjeux des luttes de classes et que d’autres le complèteront ultérieurement. Luttes de libération
[…] Nous sommes porteurs d’aspirations libertaires qui dépassent la seule lutte de classe. L’émancipation de chaque individu n’est pas pour nous une perspective secondaire mais l’objectif majeur de la lutte sociale. […] Nous sommes donc pour que s’épaulent les luttes de classe et les diverses luttes contre les aliénations, sans réduire celles-ci aux conditions des premières. La destruction de l’ordre capitaliste, la construction de nouveaux rapports sociaux égalitaires et libertaires, apporteront les bases nécessaires - même si elles ne sont pas à elles seules suffisantes - à une ère d’émancipation. […] Une forme nouvelle, alternative, de militantisme est à découvrir et à expérimenter par les hommes et les femmes qui ne reproduise pas à l’intérieur du mouvement d’émancipation, les rapports patriarcaux et les aliénations domestiques. Workers Solidarity Movement Paru sur leur site internet, par Deirde Hogan, Feminism, Class and Anarchism
[…] What are the common approaches to feminism by class-struggle anarchists today? On the extreme end of reaction against feminism is the complete class-reductionist point of view: Only class matters. This dogmatic viewpoint tends to see feminism as divisive [surely sexism is more divisive than feminism?] and a distraction from class struggle and holds that any sexism that does exist will disappear automatically with the end of capitalism and class society. […] However, in constantly stressing that experience of sexism is differentiated by class, anarchists can seem to gloss over or ignore that which is also true: that experience of class is differentiated by sex. The problem, the injustice, of sexism is that there are unequal relations between women and men within the working class and indeed in the whole of society. Women are always at a disadvantage to men of their respective class. Introduction au féminisme radical: théorie de l’identité? Le féminisme radical est né pour contrer les volontés égalitaristes des groupes militants, particulièrement l’extrême gauche, qui ne conceptualisait l’oppression des femmes qu’en terme individualisant et rejetait l’aspect structurel. Les féministes radicales vont donc passer d’une conceptualisation individualiste, conséquence d’une société capitaliste qui individualise les relations sociales, à une conceptualisation lutte de classiste pour rallier les femmes à la conscience de classe. Victime d’une division du travail sexuée où elles effectuaient des sous-tâches dans les mouvements sociaux, ces féministes se groupent en mouvement autonome (groupes non-mixtes) pour mener leurs luttes plutôt que de rester subalternes dans le mouvement ouvrier. Il faut néanmoins préciser que le féminisme radical n’est pas automatiquement séparatiste (faire le choix politique de devenir lesbienne et abolir, à long terme, la classe des hommes) qui n’en constitue qu’une des écoles de pensée. Vision de l’oppression Elle est multiple, tout dépendant de la tendance politique. Au Québec, c’est surtout la branche matérialiste (issue du marxisme) qui est majoritaire. L’oppression des femmes est théorisée à partir des concepts d’appropriation du corps des femmes et de ses produits (reproduction) mais sort du mode de production domestique pour être étendu à l’ensemble des rapports sociaux (dans la sphère du travail, dans nos relations sociales, etc.). Généralement, les groupes qui se réclament du féminisme radical sont assez rares bien qu’il y ait plusieurs féministes radicales dans divers groupes. On retrouve évidemment des féministes qui s’organisent dans Québec Solidaire, dans des groupes communautaires ou des groupements autonomes. Encore ici, la tendance politique est diverse, de la Fédération des femmes du Québec aux Sorcières en passant par les écoféministes. Si on prend par exemple des groupes féministes radicaux autonomes, leur vision de l’oppression est reliée à l’appropriation des femmes et de leur produit (les enfants, les tâches domestiques). C’est une notion centrale de l’analyse: l’histoire a été «produite» par les femmes en ce sens qu’elles sont catégorisées d’après le rapport de reproduction, mais le «sens» ou «l’orientation» de cette histoire est déterminé par les hommes. Autrement dit, les femmes sont femmes parce qu’elles ont la possibilité (… ou l’obligation) de porter des enfants (le critère de base pour reproduire une société dans le temps) alors qu’elles ont de tout temps été exclues du politique pour orienter les choix économiques et sociaux. C’est une vision de l’oppression en terme de classes sociales et donc, ce n’est pas parce qu’une ou des femmes accèdent à la sphère politique et économique que la classe peut en elle-même décider de l’avenir de la société. Bien que des libertaires et des anarchistes se réclament du féminisme radical en ayant des positions lutte de classistes, la théorisation se limite à la tendance de fragmentation des identités, axant parfois davantage la lutte sur une question proprement féministe et parfois sur d’autres, de façon très pragmatique. À l’intérieur de ces regroupements mixtes, la volonté de s’organiser de manière horizontale fait en sorte qu’on rejette plusieurs modes de fonctionnement traditionnel du patriarcat (par exemple la division sexuelle des tâches). L’égalité est aussi une valeur acquise, non remis en question. Par contre, les femmes peuvent parfois ressentir le besoin sur des positions politiques précises ou suite à des comportements machos, de se regrouper pour défendre des positions féministes. C’est souvent à ce moment qu’on se rend compte qu’une vision commune de l’égalité n’est pas partagée par l’ensemble des membres du groupe; ça donne lieu à de beaux champs de bataille. Les mouvements sociaux fragmentés. Si on se rapporte particulièrement à la lutte féministe, on peut dire que l’émergence des mouvements sociaux fragmentés est due aux reproches de la volonté de «totaliser» le vécu des femmes. Historiquement, cette tendance s’est consolidée dans les années 1980-1990 autours de groupes qui voulaient militer pour leurs droits, mais qui ne se reconnaissaient pas dans les courants radicaux des années 1970, début 1980. Son émergence est donc due à ceux et celles qui critiquaient ces courants, souvent en s’y sentant exclu-e-s. C’est donc en même temps un rejet de l’organisation politique de masse. Parallèlement, cette critique a fait écho dans le milieu universitaire en théorisant une troisième vague féministe (la deuxième étant les féministes radicales lutte de classistes et la première, les féministes qui réclamaient l’accès à l’éducation et à la sphère politique). On a ici regroupé en deux types de conceptualisation bien qu’il faille préciser que les nuances sont beaucoup plus importantes en réalité. La multiplicité des identités C’est souvent la formule la plus «utile» et «utilisée» dans les mouvements sociaux: on s’organise en essayant de ne pas oublier personne pour les inclure dans la lutte politique. Il y a alors deux façons d’additionner les identités. Soit on parle de femmes en essayant de toutes les nommer: les femmes noires, les femmes autochtones, les femmes pauvres, les femmes handicapées, les femmes homosexuelles, les femmes... ou soit on regroupe les identités en les superposant. Difficile d’avoir une image ici, je me risque avec une femme qui serait «transpersée» de plusieurs identités oppressantes et oppressées, par exemple une femme hétérosexuelle blanche du Québec. Dans les deux cas, ça se traduit en terme de mouvements sociaux de deux façons. Multiplicité de groupes militants identitaires: c’est-à-dire qui vouent leur vocation (plus ou moins radicale, c’est selon) à un enjeu en particulier. C’est ce qu’on appelle la fragmentation des mouvements sociaux: des groupes qui luttent pour le droit des homosexuel-le-s, des groupes femmes, des groupes pour défendre les handicapé-e-s, des groupes pour défendre les personnes racialisé-e-s, etc. Par contre, il faut selon moi distinguer ici les groupes qui, en des termes radicaux, vont proposer un projet politique alternatif tout en continuant à se regrouper sous des aspects «identitaires». L’identité, en fait, reste un critère «d’entrée» dans le groupe militant, mais il ne se constitue que pour faciliter l’expression et l’action, et non pour défendre des droits particuliers. Dans cette optique, quelques-uns et quelques-unes vont aussi argumenter que les groupes contre le capitalisme comme le courant communiste libertaire ou les maoïstes ont aussi des critères «de sélection identitaire», c’est-à-dire être prolétaires. Donc la NEFAC serait ici considérée comme un groupe qui défend l’identité prolétarienne. Coalition politique ponctuelle: qu’on peut subdiviser ici encore sous deux aspects. Il y a les coalitions politiques autour d’enjeux identitaires, par exemple plusieurs groupes qui luttent contre le racisme vont ponctuellement travailler ensemble pour organiser une manifestation contre la déportation d’une famille réfugiée. Il pourrait y avoir ici un groupe de femmes immigrantes d’un quartier précis, Solidarité sans frontières, etc. L’exemple de la manifestation dans Montréal-Nord s’applique également: plusieurs groupes de défense vont travailler ensemble à enrayer un enjeu précis qu’on peut rapporter à l’identité (ici le racisme) en amenant différents points de vue sur cette réalité, de COBP à Montréal-Nord Républik et l’association étudiante du Cégep Marie-Victorin. Il y aussi les coalitions politiques qui essaient, plutôt que de regrouper autours d’enjeux identitaires, de regrouper des groupes identitaires autour d’enjeux plus généraux. On peut nommer tout simplement le Sommet de Montebello contre le Partenariat nord-américain pour la sécurité et la prospérité, la Coalition Avortons leur congrès ou tout simplement le Sommet des Amériques. Ce deuxième aspect des mouvements sociaux est extrêmement tributaire du premier dans la mesure où des groupes fragmentés doivent se coaliser, dans une tendance plurielle, pour avoir une force résistante significative. Vision de l’oppression: La vision de l’oppression est abordée sous l’aspect du pluralisme en rejetant la tendance universalisante. On articule les oppressions «à la pièce» en essayant beaucoup plus de bâtir un contre-pouvoir des exclu-e-s en général que de miser sur une unité tactique et théorique. Sous le pluralisme identitaire, on a plutôt tendance à penser qu’il faut reconnaître l’ensemble des oppressions et qu’étant donné que celles-ci ne touchent pas l’ensemble de la population de la même façon, il est normal que chaque groupe, motivé par une ou des oppressions particulières, travaille de son côté. L’éclatement des catégories Non organisé au Québec (2), ce type de groupes militants vise à éclater les catégories parce qu’ils leur reprochent d’être avilissants, c’est-à-dire d’enfermer les individus. Concrètement, il en résulte un effritement des mouvements sociaux de masse puisqu’il s’agit surtout d’une stratégie individuelle de subversion des normes. La plus reconnue de ces théoriciennes, Judith Butler (3), prône pour sa part la formation de coalitions ponctuelles autours d’enjeux tout aussi ponctuels (au fur et à la mesure qu’ils surgissent) ayant comme but de subvertir les normes à défaut de pouvoir écraser ses adversaires politiques. L’ancrage conceptuel retient donc une notion dérivée du pouvoir de Michel Foucault, se concentrant davantage sur notre «pouvoir de changer les choses de l’intérieur» (si on peut s’exprimer ainsi) plutôt que sur une analyse en terme de classe. C’est donc une vision politique qui ne croit pas en la révolution. Pourtant, si le projet politique qu’elle offre n’est pas intéressant (comme si on pouvait changer le capitalisme de l’intérieur), il reste que ses critiques de la notion d’identité sont intéressantes. Après tout, on va souvent nous aussi faire la critique des groupes identitaires comme étant repliés sur eux-mêmes et n’amenant pas de solutions globales aux problèmes sociaux, politiques ET économiques. Non pas que le changement d’une économie de marché à une économie communiste les règleraient non plus. Mais le projet politique de l’anarcho-communisme, c’est aussi un projet politique de démocratie directe et par conséquent, une redéfinition de l’individualité et des rapports sociaux. Vision de l’oppression: Tirée du post-structuralisme, on reconnaît que les rapports de pouvoir sont matériels et qu’il y a des positions de domination. Là où on diffère des théories issues du marxisme, c’est surtout à l’effet que la domination ne peut pas être abolie en soi. On ne peut pas le renverser, on ne peut que le subvertir. Et à ce niveau, on laisse aux subordonné-e-s le soin de trouver le courage de s’affranchir en jouant avec les catégories qui les ont enfermé-e-s dans des rôles spécifiques. Conclusion La réflexion qu’il faut maintenant articuler, c’est comment s’y rendre, concrètement, à notre projet politique démocratique? Si on a l’habitude de prendre position sur nos associations avec les coalitions de façon ponctuelles, au gré de leur organisation, il faudra néanmoins réfléchir à notre position politique sur les oppressions dites sociales (bien qu’elles soient tout autant économiques et politiques!) et en conséquence, avoir une structure organisationnelle qui laisse transparaître ces positions idéologiques. Comment? Les avenues qui s’offrent à nous sont assez circonscrites. Soit on laisse aller les choses comme elles sont en ayant une plateforme politique qui reconnaît les luttes pour les libérations individuelles mais en n’intervenant qu’à ce niveau au jour le jour lors de problèmes politiques explicites (comme on le fait présentement). Soit on prend une position formelle de restructuration interne. Mais alors: laquelle? Recréer une dynamique identitaire à l’intérieur de l’organisation est-elle la solution à court terme? Vous connaissez très certainement les enjeux: pourquoi diviser les luttes en rajoutant un fardeau aux gens qui vivent une oppression spécifique, surtout dans le contexte présent à la NEFAC-Québec où il y a peu de femmes, de personnes racialisé-e-s, de LGB3T (lesbiennes, gais, bisexuel-le-s, transgenres, transsexuel-le-s, travesti-e-s). En même temps, il faudra très certainement faire des efforts considérables pour sortir des ghettos militants dans lesquels nous sommes présentement embourbé-e-s. Ceci étant dit, je crois qu’à ce moment-ci, il faut davantage miser sur les rapports sociaux qu’on entretient, autant à l’intérieur de l’organisation (entre nous) qu’avec l’extérieur lors d’événements politiques et dans nos vies personnelles. Il faut laisser la possibilité à une organisation spontanée (avec un pouvoir politique) autour d’enjeux identitaires à l’interne de l’organisation. Je suis plutôt partisane de la praxis sociale où nous pouvons définir la structure au moment où les problèmes surgissent (et adapter les outils par la suite) plutôt qu’avoir un guide théorique orthodoxe à appliquer. Néanmoins, il faut pour ce faire avoir une unité théorique sur la reconnaissance des rapports de pouvoir au sein de la fédération. Finalement, je pense qu’il faudra faire des efforts spécifiques pour l’inclusion. On revient ici dans un premier temps à ma première proposition: faire attention aux rapports sociaux qu’on entretient. Mais dans un deuxième temps, il faudra aussi investir les luttes sociales avec lesquelles nous avons présentement peu de contact, notamment les luttes anti-coloniales, les luttes féministes, les luttes de libération sexuelle, etc. Notes: 1) Soulign. par l'auteur-e du texte. On comprend qu'on veut ici faire référence à la biologie versus l'organisation sociale. 2) Les Panthères roses s'en revendiquent, mais non seulement le groupe est-il mort, je crois qu'il faut davantage le considérer comme un groupe radical de la tendance identitaire. 3) Je le mentionne parce que généralement, dans la sphère universitaire et chez les militants et militantes, on a tendance à oublir l'aspect pratique que Butler prescrit (voir à en dire des mensonges). == Un texte extrait du hors-série de la revue Ruptures (mai 2009) |
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