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Théâtre : La Charge de l’orignal épormyable

category amérique du nord / mexique | culture | opinion / analyse author Monday April 27, 2009 11:20author by Cause commune - UCL Report this post to the editors

L’art authentique est-il soluble dans la société marchande? Suite aux représentations de La Charge de l’orignal épormyable au très respectable Théâtre du Nouveau Monde (TNM), il nous est heureusement encore permis d’en douter.

Je ne reconnais pas la culpabilité qu’on m’impose de force. Je ne reconnais pas la compétence des juges intéressés. Je ne reconnais pas l’amour des assassins guêtrés de stupidité. Je ne reconnais pas la lucidité des vengeurs qui n’ont rien compris. Le lac-bolide fuse, ondée verticale et parabolique!

– Extrait de La Charge

L’art authentique est-il soluble dans la société marchande? Suite aux représentations de La Charge de l’orignal épormyable au très respectable Théâtre du Nouveau Monde (TNM), il nous est heureusement encore permis d’en douter.

Claude Gauvreau est certainement l’un des écrivains les plus subversifs de l’histoire du Québec. Son oeuvre entière constitue un vaste assaut contre la société, une charge en règle contre la morale bourgeoise et ses déclinaisons conservatrices. Toute sa vie il a défendu – et littéralement — la liberté. Loin de la fixation du dogmatisme, sa pensée est en mouvement constant; elle évolue au gré des événements et des rencontres. Elle se fonde sur les idées de Refus global, sur son rejet de la civilisation chrétienne et sa rationalité, et se transfigure au fil du temps pour devenir socialiste libertaire.

En 1956, l’épopée automatiste est définitivement terminée, les artistes révolutionnaires sont en exil en France et aux Ötats-Unis ou en voie d’être intégré-e-s à l’univers académique des musées du régime. Claude Gauvreau vit certainement les moments les plus pénibles de sa tumultueuse existence : tentatives de suicide, internements répétés et relations violentes avec son entourage ponctuent cette période difficile. Entre deux internements dans cette « usine d’assassinat des ferveurs », l’hŸpital psychiatrique Saint-Jean-de-Dieu, il écrit, à bout de force, l’une des pièces les plus sombres du répertoire théâtral québécois, La Charge de l’orignal épormyable.

Cette pièce est à la fois inspirée de ses séjours en asile, dont elle est le témoignage autobiographique, et une métaphore de la société catholique de l’époque. Mycroft Mixeudeim, malade suite à la mort de sa bien-aimée, se voit infliger les pires tortures psychologiques par ceux qui prétendent être ses amis. Ces tortures –électrochocs, coups et humiliations – étaient trop souvent le quotidien des «fous» et des «hors-la-loi» sous le régime obscurantiste de Duplessis. Comme à peu près tous les textes de Gauvreau, la pièce est traversée d’un vif sentiment de révolte

«C’est malgré moi. On me coupe du monde. C’est malgré moi. On me fait un procès. Des justiciers ridicules, élus par eux-mêmes, me font un procès. Des moralisateurs insincères se reconnaissent le droit de me juger. Des conformistes drapés me jugent, profitant de ma léthargie. Prostuste m’a jugé, m’a condamné. Protuste inquisiteur, Protuste vaniteux et impotent et suiveur et sournoisement envieux. »

Si la pièce est violente, elle est également, comme dans l’ensemble de l’œuvre du poète, traversée de grandes douceurs amoureuses, celles que Microft vit tendrement avec Dydrame Daduve, preuve que « les lois se dissolvent dans le plaisir qui est seul légitime ».

Avant de mourir, alors qu’on lui assène un nouveau coup d’épée dans le corps, Microft relève une dernière fois la tête et affirme, mourant : « Il faut poser des actes d’une si complète audace que même ceux qui les réprimeront devront admettre qu’un pouce de délivrance a été conquis pour tous » – ces paroles, en 1969, vont inspirer de jeunes révolutionnaires à prendre d’assaut la scène de la Comédie canadienne afin de s’y déshabiller et d’y égorger quelques oiseaux. Cette action, sans grand étonnement et pour le plaisir de Gauvreau présent pour l’occasion, fera bien entendu scandale.

Après l’assassinat de Microft, les bourreaux du poète transportent son cadavre dans la salle, brisant ainsi la frontière entre le spectateur et la pièce, entre la fiction et la réalité. Le dépotoir qu’ils cherchent, c’est hors scène qu’ils le trouvent, dans le monde raisonnable des spectateurs complices. Au TNM, malgré la performance juste et généreuse des comédiennes et des comédiens, le corps du poète, au mépris du texte original, n’a jamais quitté la scène. La pièce fut ainsi privée d’une part importante de son dénouement, de même que du versant le plus radical qu’elle est censée porter. Par la négative, cette mise en scène démontre que l’œuvre de Claude Gauvreau, même 40 ans plus tard, reste toujours irrécupérable.

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Extrait du numéro 24 de Cause commune

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